Femmes sans enfant : un choix personnel ou un choix professionnel ? Un débat qui s’appuie sur de nombreuses études.

Avec les contributions de Laurent Toulemon, démographe à l’Institut national d’études démographiques, Clotilde Lemarchant, maîtresse de conférences de sociologie à l’université de Caen (1), Charlotte Debest, sociologue (1) et Anne Gotman, directrice de recherche émérite au CNRS-Cerlis (1).

Rappel des faits. À l’initiative du Mage, le réseau de recherche Marché du travail et genre, une rencontre sur le thème « Femmes sans enfant » se tiendra le 21 juin à l’université Paris-Descartes.

  • Entre décision privée et question de société par Clotilde Lemarchant, maîtresse de conférences de sociologie à l’université de Caen (1)

En moyenne, actuellement, 18 % des Européennes sont sans enfant à 40 ans et une part croissante d’entre elles le sont ­volontairement – même si la notion de choix doit être considérée avec prudence et discutée. Devant l’ampleur et la régularité du phénomène, cette question intime et relevant de la vie privée gagne à être mise en perspective avec ­différentes dimensions de la vie collective : le contexte de l’emploi et de ses contraintes, les représentations du travail et de la place des femmes, les politiques d’aide à l’articulation entre vie familiale et vie professionnelle et l’offre en matière de modes de garde d’enfant – ces réalités variant fortement d’un pays à l’autre. Le non-désir d’enfant résulte parfois d’un choix sous contrainte : infertilité, absence de conjoint, incertitudes quant au mode de garde d’enfant, mais aussi mobilité, chômage ou difficultés économiques entraînant des reports de projets personnels. Il existe également une dimension militante au refus d’enfant qui peut devenir une cause, comme le montre Anne Gotman (1).

Le refus d’enfant peut exprimer une forme de militantisme féministe dans la mouvance de Simone de Beauvoir. Il résulte de plus en plus d’une forme radicale de militantisme écologiste lorsque le refus d’enfant se veut solution cohérente pour pallier l’ampleur des dégâts de la participation humaine à la destruction de la planète.

Un regard en termes de genre est donc très instructif. En effet, la parentalité engage différemment les hommes et les femmes : le coût de la paternité et celui de la maternité en matière de trajectoire professionnelle ne sont pas les mêmes – y compris en Suède, pays pourtant promoteur de politiques favorables à l’égalité. Les femmes voient leur carrière ralentir lorsqu’elles deviennent mères et le seuil du troisième enfant signifie, dans certains pays, le retrait durable du marché du travail, tandis que les hommes cadres font des carrières d’autant plus fructueuses qu’ils ont plus d’enfants. Ces « choix » portent également une dimension de classes sociales. L’absence volontaire d’enfant semble davantage le cas de femmes de classes supérieures et d’hommes de classes populaires (Robert-Bobée, 2006). Retrouve-t-on à ce propos le même schéma que pour le célibat : la surreprésentation d’hommes de classes modestes et de femmes de classes aisées ? On le voit, un faisceau de facteurs entre en jeu pour rendre compte de la complexité des motivations et de la diversité des situations (Debest, 2014), oscillant entre « choix » contraint et revendication militante. Cette réalité inquiète gouvernements, médias et société civile, qui redoutent les conséquences démographiques à moyen terme d’une telle vague de fond. Ainsi, en Italie se discute la possibilité de la mise en place d’un « fertility day », très contesté : pour contrecarrer le vieillissement de la population et la baisse du taux de fécondité, le gouvernement italien a lancé le 22 septembre dernier une campagne pour encourager les Italien-ne-s à faire plus d’enfants. Projet et méthode très contestables, mais qui montrent l’ampleur du phénomène et l’enjeu du vieillissement de nos sociétés dans certains pays. À cet égard, il faut souligner le rôle des politiques familiales et celui des politiques d’emploi sur la fécondité en Europe.

(1) Coauteure de l’article « Sans enfant. Le point de vue des femmes », Travail, genre et sociétés, n° 37, 2017.

 L’humanité 14/06/2017