Les opportunités de la mutation numérique pour les jeunes diplômés

Face au défi technologique, économique, social mais aussi culturel que représente la transformation informatique, les jeunes diplômés se retrouvent en première ligne pour aider les entreprises à franchir ce cap.
A trop entendre parler de la numérisation de l’économie, on en viendrait presque à s’interroger : et si, au fond, le raz-de-marée annoncé dans tous les secteurs d’activités mais aussi dans la société elle-même était exagéré ?

Philippe Lemoine, auteur d’un rapport sur cette même transformation numérique de l’économie française commandé par Bercy en 2014 (« La Nouvelle Grammaire du succès. La transformation numérique de l’économie française »), avoue s’être posé la question : le thème de la mutation numérique n’est-il pas surjoué ? « Dans le domaine des technologies de l’information, j’ai l’impression d’avoir entendu parler de révolution depuis des décennies », relève-t-il.

A l’épreuve des faits, le constat a pourtant été pour lui implacable : « Il y a bien quelque chose de nouveau qui se passe, une transformation rapide, puissante, très transversale, qui n’épargne aucune activité ». Une transformation qui porte en elle les germes d’un changement de paradigme : « Ce ne sont désormais plus les organisations mais les personnes qui règlent la vitesse de la course. »

Les consommateurs ont donc désormais la main. L’économie collaborative invente de nouveaux usages, supprime des intermédiaires. Les entreprises surfant sur le modèle des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) placent non plus les produits mais les clients au centre du jeu. Plus leur nombre est grand, plus la création de valeur liée à leurs data est potentiellement importante. De nouveaux modes de consommation s’imposent dans le même temps : l’expérience et l’usage d’un produit l’emportent sur la propriété. Et, en parallèle, dématérialisation, automatisation et digitalisation modifient en profondeur le profil des sociétés.

« Destruction créatrice »

Face à toutes ces mutations, les entreprises n’ont d’autre choix que de suivre et de s’adapter, à marche forcée. Face à elles, des défis immenses et en premier lieu celui de l’emploi, promis à un bouleversement en profondeur. Dans l’Union européenne, 54 % des postes seraient vulnérables, estimait en 2014 le think-tank bruxellois Bruegel. « Dans le même temps, six métiers sur dix qui seront exercés en 2030 n’existent pas encore, expose Godefroy de Bentzmann, président du Syntec numérique, le syndicat professionnel des sociétés de services informatiques. Il ne faut donc pas être dans une peur excessive concernant la question de l’emploi. Nous sommes en réalité dans une logique de destruction créatrice. »

Pas besoin, toutefois, d’attendre 2030 pour assister à l’émergence de nouvelles professions nées de la transformation numérique. Le secteur de l’économie digitale voit aujourd’hui se structurer plusieurs d’entre elles, stimulées par les besoins croissants des sociétés. Des besoins qu’il est parfois périlleux de combler. « La plupart de nos entreprises ne parviennent pas à trouver les ressources dont elles auraient besoin », constate M. de Bentzmann.

« Une collection de nouveaux métiers »

L’informatique apparaît donc, plus que jamais, comme une source d’opportunités pour les jeunes diplômés scientifiques. Les données statistiques le confirment. « Fin 2015, les entreprises du secteur prévoyaient d’embaucher [en 2016] jusqu’à 42 000 cadres, précise une étude de l’Association pour l’emploi des cadres (APEC). Elles resteraient les premières recruteuses de cadres. » Une dynamique à la hausse, après une année 2015 déjà marquée par une progression des embauches de 8 %. « Les jeunes cadres sont la cible privilégiée des recruteurs, poursuit la note. En 2015, 64 % des recrutements de cadres enregistrés dans les activités informatiques et télécommunications ont concerné des profils de débutants ou de cadres peu expérimentés, contre 50 % pour l’ensemble des secteurs. » Le chiffre attendu pour 2016 est de 71 %.

Dans le secteur du data, « une collection de nouveaux métiers apparaît, poursuit le président du Syntec numérique, notamment des data designers qui décident de l’architecture du traitement des données afin de les retrouver facilement, ou encore des business analystes capables de comprendre l’exploitation qui peut être faite de ces mêmes données. »

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« On note une vraie pénurie de data scientists, constate pour sa part Julien Weyrich, directeur des divisions Ingénieurs et techniciens, et informatique, du cabinet de conseil en recrutement Page Personnel. C’est devenu aujourd’hui une vraie discipline, des entreprises se sont d’ailleurs lancées spécifiquement sur ce créneau. Et les difficultés de recrutement sont réelles ».

Les métiers construits autour de l’expérience utilisateur (dite UX, pour User eXperience en anglais) ont aussi le vent en poupe. Tout comme ceux qui pensent le marketing sous un angle numérique (digital brand manager…). Les développeurs spécialisés dans les technologies les plus innovantes sont particulièrement prisés. Les entreprises du numérique sont aussi en quête d’ingénieurs. « Ils peuvent nous permettre de faire bouger les lignes, de développer les solutions les plus pointues et nous mettre en avance sur l’innovation technologique comme sur les usages… Malheureusement, nous faisons face à une pénurie, notamment par manque d’attractivité », note M. de Bentzmann.

Génération décomplexée

Il n’est toutefois pas question de pénurie pour d’autres fonctions, comme celle de community manager. Si un « petit appel d’air » a été constaté à la suite des créations de poste dans les entreprises, « des formations ont été mises en place », note M. Weyrich. Mais « y aura-t-il assez de postes pour absorber tous les diplômés ? La question se pose. »

La croissance des besoins des entreprises en compétences numériques internes ou externes va de pair avec un autre phénomène : l’émergence de nombreuses start-up surfant tout à la fois sur une démocratisation de la technologie et l’apparition de nouveaux usages. C’est là une autre occasion offerte aux jeunes diplômés par la vague numérique.

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Un nombre croissant de digital natives (personnes ayant grandi dans un environnement numérique) franchit d’ailleurs le pas, aidé en cela par une relation de plus en plus décomplexée de cette génération avec la création d’entreprise. « C’est aujourd’hui une manne assez importante de création d’emplois, relève M. Weyrich. Les freins au lancement de ces start-up sont moins nombreux qu’avant. Il est aujourd’hui plus facile pour elles d’obtenir des soutiens financiers. »

Dans le sillage de success stories comme celle du spécialiste du covoiturage Blablacar, des petites entreprises émergent, souvent autour d’« appli » pour mobiles, souvent également dans le vent de l’économie collaborative.

Un défi culturel

Cette numérisation globale de l’économie constitue pour nombre d’entreprises un défi de premier ordre. Plus encore que technologique, il est d’ordre culturel. Les changements induits appellent en effet, au-delà de l’adaptation numérique, à une évolution de l’organisation des sociétés (réorientation des activités, du mode de management, du rapport au consommateur, etc.), parfois même jusque dans leur business model. Des secteurs d’activités comme, par exemple, la comptabilité ou l’hôtellerie font face à d’importantes mutations. Des mutations indispensables pour rester compétitifs, et préserver des milliers d’emplois aujourd’hui fragilisés.

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Pour ce faire, certaines grandes entreprises ont compris l’importance qu’il y avait à s’associer avec de jeunes start-up proposant une nouvelle façon d’aborder un marché, ou encore à recruter des jeunes diplômés dans le but d’accompagner cette mutation culturelle. Le président du Syntec numérique l’assure d’ailleurs : « Les jeunes ayant une connaissance métier et s’intéressant aux technologies et à la façon dont on peut s’en emparer pour mener des projets internes, disposent d’une dimension rare, recherchée et fortement valorisable. »

Reste toutefois aux directions des ressources humaines un autre défi de poids à relever face à cette génération de jeunes diplômés, familiers des codes de la culture numérique mais qui, dans le même temps, affichent leur volonté de multiplier les expériences sans s’attacher, en début de carrière, à une entreprise : parvenir à fidéliser ces talents aussi stratégiques que « volatils »…
Le Monde 29/11/2016