Google, Apple, Uber : trois stratégies différentes pour s’imposer dans l’auto

Les trois spécialistes du logiciel lèvent petit à petit le voile sur leurs projets en matière de voiture autonome.
Chacun a sa vision propre mais tous promettent de secouer le modèle économique des constructeurs.

Longtemps annoncées, les ambitions sont désormais concrètes. En quelques semaines, Google, Apple et Uber ont levé une partie du voile quant à leurs projets en matière de voiture autonome. La semaine dernière, Google officialisait Waymo, qui sera une société dédiée à l’automobile du futur, tandis qu’Uber orchestrait ses premiers tests de robots taxis à San Francisco. Début décembre, c’était Apple qui officialisait pour la première fois son intérêt pour le secteur, via une lettre envoyée aux autorités américaines afin de peser sur la définition des futures réglementations.

Le trio californien affiche ses atouts, notamment une maîtrise sans faille des histoires de codes informatiques et de batteries électriques. « Le logiciel sera ce que le moteur [est] à l’industrie automobile depuis cent ans », rappelait lors du dernier Mondial de Paris Johann Jungwirth, le nouveau « chief digital officer » de Volkswagen. Reste que, sur le fond, chacun dispose d’une stratégie propre, distincte. « Google, Apple et Uber apportent des risques très différents pour l’industrie. A priori, ils « mangeront » sans doute chacun une partie des profits des constructeurs, sans se concurrencer réellement entre eux », souffle Hadi Zabli, spécialiste auto au cabinet BCG.

Prenez Uber, qui opère plusieurs flottes de prototypes de camions ou de voitures robots (lire ci-dessous). Pour le roi du taxi à la demande, il s’agit d’abord de diminuer le coût d’une voiture au kilomètre et de réduire les aléas liés à la présence d’un chauffeur humain au volant. Un robot ne se plaint pas, ne demande pas une hausse de sa rémunération et peut conduire sans fatigue 24 heures sur 24.

Chez Google, l’approche est tout autre. Le géant du Web n’a jamais usiné ses terminaux électriques, mais a toujours imposé son système d’exploitation aux fabricants d’électronique. Waymo ne veut donc vraisemblablement pas construire ses voitures, mais plutôt proposer gratuitement son système de conduite autonome aux industriels, en échange des données utilisateurs. Si on force le trait, on peut même imaginer une voiture totalement gratuite pour le conducteur et ses passagers. « Dans ce cas, ce pourrait être la publicité des commerces à proximité de la voiture qui paieraient cette dernière », pense Bertrand Rakoto, un analyste indépendant. C’est le modèle, éprouvé, du moteur de recherche Google. Pourquoi le remiser ?

Concernant Apple, c’est encore une autre histoire. Cet été, Cupertino semble avoir changé son fusil d’épaule : de nombreuses équipes hardware dédiées à l’automobile ont été démantelées, signe, peut-être, que la Pomme se recentre sur l’aspect « système d’exploitation, design et interface », c’est-à-dire son véritable savoir-faire d’intégrateur. Le futur software pourrait servir dans les services de voitures à la demande – celles du chinois Didi par exemple, dans lequel Apple a misé 1 milliard de dollars -, ou être proposé sous forme de licence à des fabricants de voiture, des constructeurs ou à des acteurs « marque blanche », comme le canadien Magna.

Partenariats opportuns

En théorie, Apple pourrait donc prendre des clients aux constructeurs – les riches quinquagénaires et sexagénaires raffolent de l’iPhone. De son côté, Uber pourrait diminuer la taille globale du marché en réduisant l’intérêt de posséder une voiture, notamment dans les grandes villes. Et Google, enfin, pourrait renvoyer la voiture grand public à l’état de commodités et faire oublier aux clients la valeur intrinsèque du véhicule, du moins pour les constructeurs.

Dans ce tableau qui se dessine, « les moins à l’aise ne sont pas les équipementiers, mais les constructeurs. Ceux-ci jugent ces nouveaux acteurs à travers la vision 100 % produit dont ils peinent à sortir. Pour eux, les enjeux sont colossaux », pointe Bertrand Rakoto. Pour s’en sortir face aux intrus, les industriels du secteur devront savoir changer de culture et sans doute nouer quelques partenariats opportuns. Pas facile : Apple, Google et Uber sont tout sauf conciliants en la matière.

Julien Dupont-Calbo, Les Echos

Les Echos 20/12/2016