L’économie à portée de comptoir

Le livre. Fin du salariat, immigrés profiteurs et délinquants, impossibilité de la transition écologique… L’ouvrage d’Eloi Laurent se présente comme un dictionnaire des idées reçues en économie.

Ce « dictionnaire des idées reçues » en économie, de lecture facile, est un bon vade-mecum en période de débats électoraux. Se souvenir de quelques arguments permettra de répondre aux propos entendus pendant les repas de famille ou à l’apéro du café du coin.

A rebrousse-poil des considérations récentes sur le caractère scientifique et définitif des « découvertes » de la science économique, il prône au contraire le débat et regrette que les trois quarts des articles publiés dans les « grandes revues » économiques « visent à valider ou invalider par des données les modèles économiques existants, sans interroger leurs fondements ».

Où est la « fin du salariat »?

Eloi Laurent, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), enseignant à Sciences Po et à Stanford, ne prétend pas ici s’attaquer à ces « modèles », mais aux affirmations qui en découlent lorsqu’ils sont maniés à tort et à travers dans le débat public.

Sur les quinze affirmations passées ainsi au crible, cinq sont issues du discours néolibéral, celui qui parvient à nous faire croire que « les déshérités sont des rentiers, les héritiers des aventuriers, les riches des opprimés, les pauvres des protégés, les régressions sociales des réformes, les droits des privilèges… »

L’auteur se contente le plus souvent de rappeler des évidences : où est la « fin du salariat », menacé d’obsolescence par la révolution technologique, alors que la proportion de salariés dans la population active française a augmenté de 10 % ces dix dernières années ? Où est la dynamique de concurrence et de créativité de cette même « révolution » quand une poignée de monopoles se partagent le marché du high-tech et dressent des barrières à son entrée ? Des règles européennes intangibles, une « France irréformable », des dépenses sociales trop élevées et trop protectrices, ce sont les autres « clichés » pourfendus par l’auteur.

Dans le registre « social-xénophobe »

Il s’attaque ensuite à cinq autres affirmations, qui relèvent, elles, du registre « social-xénophobe » : déclin de l’Occident, menace culturelle de la mondialisation, immigrés profiteurs et délinquants, là encore les chiffres contrecarrent les mythes. Anticipant sur la victoire de Donald Trump, l’auteur rappelle cependant qu’on ne peut opposer la pseudo-« rationalité économique » à ce discours, car c’est précisément contre elle, éloignée voire prédatrice de leur vécu social, que les électeurs se révoltent.

Enfin, en tant que spécialiste de l’économie de l’environnement, l’auteur pourfend cinq idées reçues sur l’impossibilité de la transition écologique, qui est, selon lui, avec l’investissement dans l’éducation et la santé, la promesse d’un meilleur avenir.

Car l’économiste ne cache pas la limite, revendiquée, de son ouvrage : « A la lecture de ces pages assurément engagées, écrit-il, on se récriera peut-être qu’il existe bien d’autres idées reçues en économie, tout aussi fausses, mais que ce livre laisse de côté par biais idéologique. C’est vrai. » Une façon de reconnaître que le débat doit rester ouvert.

« Nouvelles mythologies économiques », d’Eloi Laurent (Les liens qui libèrent, 112 pages, 12 euros).

Le Monde 19/12/2016