Bernard Stiegler veut réinventer le Web en Seine-Saint Denis

Ce mercredi 11 janvier 2017, neuf communes du 93 présentent un projet d’expérimentation territoriale, visant à faire de la Plaine Commune « le premier territoire apprenant contributif ».

Un projet ambitieux visant à réinventer le Web, l’économie et le vivre-ensemble, impulsé par le philosophe Bernard Stiegler, qui était la veille l’invité de l’Université Bayard.

L’un des objectifs du projet d’expérimentation territoriale de la Plaine Commune, qui avait reçu début 2016 le feu vert d’Emmanuel Macron lorsqu’il était ministre de l’économie, vise à « réinventer le Web », en concevant collectivement des plates-formes qui répondent aux enjeux européens, tant économiques et urbanistiques que démocratiques et éducatifs.

Inventé en 1993 pour favoriser les échanges, le Web a été détourné de cet objectif depuis une dizaine d’années avec la montée en puissance du « capitalisme des plates-formes californiennes », selon Bernard Stiegler. Ces géants du Web captent de la valeur en détruisant de l’emploi, du lien social en créant ce qu’il nomme « la disruption » : une perte de sens et de foi en l’avenir, qui peut conduite à une folie destructive ou des formes de barbarie.

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Impulser un changement de paradigme

Cette « désorientation », qui gagne aussi bien « les électeurs de Trump ou les candidats au djihadisme », le philosophe, président l’association Ars industrialis et directeur de l’Institut de recherche et d’innovation, et tous ceux qui soutiennent le projet de Plaine Commune, entendent la transformer positivement. Et d’anticiper par là même les prévisions de destruction de 20 à 50 % des emplois d’ici à 20 ans, du fait de l’automatisation et de l’« ubérisation ».

L’idée est d’associer la population de neuf villes de Seine-Saint-Denis (Aubervilliers, Épinay-sur-Seine, La Courneuve, Saint-Denis, Saint-Ouen…) à l’élaboration d’un nouveau modèle d’économie et de société, en constituant des « communautés apprenantes et contributives ». Les gains de productivités, générés par ces « savoirs » déclinés en « offres de services », seront redistribués sous la forme d’un « revenu contributif » (sur la base d’un régime similaire à celui des intermittents).

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Des maires de cinq couleurs politiques enthousiastes pour le projet

Comment ? « Nous proposons une méthode et un calendrier », explique Bernard Stiegler. « Nous avons réalisé des enquêtes sur le terrain et noué des partenariats d’intérêts, constitués de personnes aux profils très variés. Et nous allons continuer à aller à la rencontre de la population pour les associer ». Parallèlement, six chercheurs ont été recrutés pour au moins un an. L’un d’eux travaille sur « l’économétrie », avec l’idée d’adapter les indicateurs économiques à l’économie contributive. D’autres sur le partage des savoirs et l’open data. Trois chercheurs restent à trouver (un juriste, un mathématicien, un urbaniste).

Cette expérimentation sur dix ans a suscité beaucoup d’enthousiasme de la part du ministère de la recherche, des maires (de cinq couleurs politiques différentes) des neuf communes concernées, mais aussi du patronat et de certains syndicats, confie-t-il. De grands groupes comme Orange et Dassault système soutiennent aussi ce projet. Reste à convaincre aussi le futur locataire de l’Élysée.

Aude Carasco
La Croix 26/01/2017