Le revenu universel n’a pas pour but le pouvoir d’achat

Le revenu universel serait avant tout une alternative nécessaire à une société du capitalisme salarial qui a atteint ses limites, estime un économiste. Il ne saurait être réduit à une mesure de court terme pour augmenter le pouvoir d’achat.

Le débat sur le revenu universel atteint son paroxysme entre les deux tours de la primaire de la gauche. Porté par Benoît Hamon, favori pour la victoire au second tour, ce revenu socle pour tous s’attire les foudres de ses opposants, notamment sur sa faisabilité car il serait très coûteux. Pour réorienter le débat, Julien Dourgnon, un économiste qui conseille Benoît Hamon sur ce sujet – par ailleurs ancien conseiller d’Arnaud Montebourg – livre dans un petit ouvrage* une analyse globale sur l’opportunité de cette mesure pour le moins originale, qui remettrait in fine à plat le système fiscal français.

D’abord, souhaitant s’éloigner d’une vision qui réduirait le revenu universel à un « super RSA », l’économiste indique qu’un revenu socle pour tous, perçu dès l’enfance, n’a pas pour but premier « de donner du pouvoir d’achat aux ménages, ni même de lutter contre la pauvreté.» D’après lui, le revenu universel serait avant tout une alternative nécessaire à une société du capitalisme salarial qui a atteint ses limites.

Vision pessimiste de l’avenir

En effet, les fondements du revenu de base sont à aller chercher dans une analyse objectivement pessimiste de l’avenir de notre économie, aujourd’hui en crise : si rien ne change, le couple chômage-précarité fort, en France notamment, ne se résorbera pas. La fameuse théorie de la « destruction créatrice » de Joseph Schumpeter (1883-1950), qui voudrait que le progrès technique et la digitalisation – que l’on peut définir comme la troisième révolution industrielle – produiront in fine plus d’emplois qu’ils n’en détruisent aujourd’hui, ne se vérifiera pas cette fois-ci. Et ce, contrairement à ce qui s’est produit lors des deux derniers siècles. En fait, pour que la « destruction créatrice » se vérifie, « il faudrait un ruissellement des bénéfices liés à l’augmentation de la productivité vers le plus grand nombre », explique Julien Dourgnon. Or notre économie moderne souffre « d’une captation mécanique du progrès technique dans les mains d’une minorité », ajoute-t-il.

Insuffisance d’emplois

Ainsi, l’insuffisance annoncée d’emplois payés décemment dans le futur appelle à réfléchir à un autre mode de rémunération des individus, comme le revenu universel. Surtout en France où, comme le note Julien Dourgnon, « le principal moyen d’accès à la monnaie est l’emploi », car au-delà des seules rémunérations, les droits sociaux qui permettent de bénéficier d’une bonne protection sociale (santé, chômage, retraite) sont adossés aux salaires français. Autrement dit, « notre régime de protection sociale est fondé sur le plein emploi », note Julien Dourgon. Or, « ce modèle social prévoit des sécurités pour des accidents de la vie par définition courts et peu nombreux ». Et non pour une situation structurelle de sous-emplois.

Aussi, avec la perspective d’une précarisation massive de la population, le risque est grand de voir les droits sociaux des ménages se dégrader fortement en France. Tout cela est même, selon Julien Dourgnon, source d’inefficacité économique, puisqu’une société précaire est coûteuse d’un point de vue sociale et produit moins.

Techniquement compliqué à mettre en oeuvre

Bref, le revenu universel pourrait donc, selon ses meilleurs promoteurs, résoudre ces problèmes structurels. Reste, dans un premier temps, à trouver les moyens techniques de le mettre en œuvre. Et là, ça se corse. De son côté, Julien Dourgnon propose d’instaurer, en guise de première étape, des allocations de 120 euros par mois pour un adulte et de 60 euros par mois pour un enfant. Celles-ci coûteraient au total 83 milliards d’euros par an, et seraient financées par une taxe de 0,8 % sur le patrimoine immobilier et financier- net des dettes – des ménages français. Un financement « à la Piketty », qui induit toutefois la suppression de la taxe foncière et de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Ensuite, Julien Dourgnon prévoit une deuxième étape, dans le cas où la première serait couronnée de succès, où le niveau du revenu universel serait significativement rehaussé, et qui pourrait par exemple être financé par un impôt à taux unique. Par ailleurs, ce revenu universel viendrait concrètement s’ajouter aux revenus du salariat, et son instauration ne viendrait en aucun cas perturber les systèmes de retraite, de chômage et de santé existants en France.

Un risque de nivellement des rémunérations vers le bas ?

Le but de ce revenu universel serait donc bien de proposer une alternative à la dépendance des individus vis à vis de leur salaire. Ce qui amène à une réflexion morale: en venant en complément des rémunérations du travail, le revenu universel ne risque-t-il pas d’inciter les employeurs à niveler globalement les salaires vers le bas ? Car comme le disait le sociologue Robert Castel (1933-2013), « un stock de travailleurs potentiels déjà partiellement rémunérés par un médiocre revenu de subsistance constituerait une nouvelle armée de réserve dans laquelle le nouveau capitalisme pourrait librement puiser au moindre coût ».

D’ailleurs Julien Dourgnon admet cette critique : « Soyons honnêtes : il n’est pas impossible, en effet, que le revenu universel serve d’alibi pour accélérer l’affaiblissement de l’Etat-providence et de ses régulations collectives », indique-t-il en conclusion de son livre. Mais « rien n’est écrit », ajoute-t-il, et « l’inverse est tout à fait possible : faire du revenu universel un outil pour renouer avec l’idée du progrès émancipateur ». Dont acte. Mais il y a fort à parier que si un revenu universel était instauré, les puissantes forces du marché s’engouffreraient dans la brèche, et le pouvoir politique éprouverait alors toutes les peines du monde pour maintenir les acquis sociaux des ménages.

*Revenu Universel. Pourquoi ? Comment ? aux éditions Les Petits matins, 12 euros.

*Graphique réalisé par Statista

La Tribune 26/01/2017