Amazon propose une «prime à la démission»

Les syndicats redoutent un plan de social déguisé. «Inédite», l’offre du géant du e-commerce est-elle pour autant illégale ? Eléments de réponse.

Chez Amazon, l’offre est valable jusqu’à dimanche. Il ne s’agit pas d’une promotion sur un smartphone ou sur la dernière console de jeux vidéo, mais d’un chèque donné aux salariés des plateformes de distribution qui souhaitent quitter l’entreprise. Cette prime s’élève de 2000 à 8000 euros selon l’ancienneté. Baptisée «The offer» («l’offre» en anglais), ce programme RH est adressé aux employés en CDI qui travaillent dans les entrepôts du géant de l’e-commerce depuis au moins un an et qui souhaitent démissionner pour un projet personnel ou une reconversion. Sa durée est limitée dans le temps: deux semaines par an, en début d’année, après le pic d’activité en fin d’année.

L’objectif affiché par l’entreprise est de «soutenir ainsi les salariés qui le souhaitent à prendre un nouveau départ en ce début d’année, en les accompagnant dans leur transition professionnelle ou dans leurs projets personnels» explique Amazon au Figaro. «C’est aussi une manière de remercier nos salariés, dont certains sont là depuis le lancement d’Amazon en France il y a quinze ans, et qui souhaitent faire autre chose» explique-t-on. La démarche du salarié est volontaire insiste la firme. «On ne souhaite pas que nos employés partent. Bien au contraire.»

Ce programme RH, pratiqué par le géant du commerce en ligne, existe depuis 2015 en France. «The offer» avait été présenté en 2014 par le PDG et fondateur d’Amazon Jeff Bezos, aux actionnaires du groupe, comme un effort pour s’assurer que les employés voulaient vraiment être là. «Le but est d’encourager les gens à prendre un moment et à réfléchir à ce qu’ils veulent vraiment. Sur le long terme, quand un employé reste quelque part alors qu’il ne veut pas être là où il est, ce n’est pas sain, ni pour lui, ni pour la société» avait-il fait valoir. L’idée serait venue de Zappos, premier magasin de chaussures en ligne racheté par Amazon en 2009.

Les syndicats inquiets

Mais les syndicats redoutent un «plan de départs volontaires déguisé». Les organisations syndicales ont d’ailleurs décidé de saisir l’inspection du travail. Dans un communiqué, la CFDT dénonce un «Ovni juridique» qui «peut constituer (…) un véritable danger pour la sécurisation du parcours professionnel des salariés». Le syndicat a demandé à Amazon «une réunion extraordinaire pour, dans un premier temps, réunir toutes les informations sur cette offre à la démission.»

De son côté, l’entreprise affirme être en règle. «La réglementation en vigueur a été respectée. Lors du lancement de ce dispositif en 2015, le comité central d’entreprise avait été consulté» affirme Amazon. À ceux qui s’inquiètent d’un plan social déguisé, l’entreprise répond avoir embauché 1000 nouvelles personnes en CDI en 2016, alors que seulement «onze salariés en CDI» en ont bénéficié en 2015 et douze en 2016. «Un tiers d’entre eux avaient trouvé du travail ailleurs, un autre tiers a fait ce choix pour des raisons personnelles» précise Amazon qui se targue d’avoir recruté 1000 nouvelles personnes en CDI en 2016, sur un effectif de 3000.

Une méthode «inédite»

Déjà critiqué pour ses conditions de travail, le géant de l’e-commerce est-il pour autant dans l’illégalité? «Dès lors que l’entreprise respecte le droit du travail, que les critères de choix des collaborateurs désireux de partir sont objectifs – c’est-à dire qu’il n’y a pas de discriminations – et que cette pratique ne cache pas un plan social, il n’y a là rien d’illégal» affirme au Figaro Stéphanie Stein, avocate en droit du travail au cabinet Skadden. «L’employeur peut en effet très bien donner un chèque à son collaborateur pour l’accompagner sur un projet extérieur» ajoute-t-elle. «S’il n’y a pas de stratégie de réduction des effectifs, rien d’illégal» confirme Alain Gatignol, avocat en droit du Travail au barreau de Paris.

Mais pourquoi proposer une «prime à la démission» et ne pas passer par une rupture conventionnelle*? «La méthode est en effet inédite» note Alain Gatignol. «Aujourd’hui, la rupture conventionnelle est la voie la plus naturelle. Mais c’est une procédure bornée. En général les entreprises préfèrent limiter le turn over. Mais là, visiblement, pour Amazon ça peut faire sens de proposer aux salariés de partir s’ils ne sont plus motivés.» «C’est très osé, mais c’est habile» de la part d’Amazon estime pour sa part Virginie Devos, avocat au barreau de Paris, associée du cabinet August et Debouzy. «C’est un outil de flexibilité qui évite à l’employeur d’entrer dans les dispositifs administratifs. Il faut toutefois veiller à ce que le salarié donne sa démission en toute liberté, sans pression de la part de l’employeur. Sinon il pourrait se retourner contre l’entreprise.»


Qu’est-ce qu’une rupture conventionnelle?

La rupture conventionnelle permet à un employeur et un salarié de se séparer à l’amiable, contre le versement d’une indemnité de rupture et ouvre droit à l’assurance chômage. Elles représentent aujourd’hui quelque 17% des fins de CDI, contre 56% pour les démissions, 20% pour les licenciements pour motif personnel et 7% pour les licenciements pour motifs économiques

Le Figaro 02/02/2017