Le recrutement numérique aux marges de la loi

Candidatures mises aux enchères, offres d’emploi illégales : les zones d’ombre des jobboards.

Jusqu’où peuvent aller les sites de recherche d’emploi en ligne ? C’est la question que pose le portail de recrutement Ladiv.fr. Fin 2016, le lancement de cette plate-forme est venu chambouler le paysage des sites d’offres d’emplois en ligne. A première vue, Ladiv ressemble à un site classique d’annonces d’emplois. Mais avec une particularité : les candidats précisaient eux-mêmes la rémunération désirée et, surtout, avaient accès aux prétentions salariales des autres postulants. En fonction de quoi ils pouvaient revoir à la hausse ou à la baisse leurs propres exigences. Une sorte d’eBay du recrutement, en somme.

Cette forme de mise aux enchères des candidats n’a pas manqué de faire réagir. En janvier, le site a suscité un début de polémique, relayée par des représentants politiques et syndicaux. Dénonçant dans un communiqué « l’insupportable marchandisation des hommes », le Front national a appelé à sa fermeture. Du côté des syndidats, Force ouvrière s’est élevé contre « les demandeurs d’emploi invités à se vendre aux enchères ».

Face à la contestation, le site a fait machine arrière. Désormais, les prétentions salariales ne sont visibles par les postulants qu’à la clôture de l’offre, soit trente jours après la parution de l’annonce.

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Transparence

« L’objectif du site n’est pas de faire du dumping social, se défend Jeremy Roffe-Vidal, président cofondateur de Ladiv. Nous voulions rendre le processus de recrutement plus transparent, aussi bien du côté des recruteurs que des candidats. Ceux-ci doivent souvent indiquer leurs prétentions salariales lorsqu’ils répondent à une annonce, mais sans savoir comment se situer. » Au demeurant, la plate-forme propose d’autres outils pour rendre le recrutement plus transparent. Le candidat comme le recruteur peuvent faire des vidéos de présentation. Le nombre de candidatures est affiché pour chaque annonce.

Ce n’est pas la première fois qu’un site de recherche d’emploi tente de mettre en œuvre un système d’enchères inversées pour fixer les salaires. Par le passé, d’autres plates-formes de recrutement avaient tenté de se positionner sur ce créneau, comme l’allemand Jobdumping, ou le site français Jobdealer, qui a vu le jour en 2005. Mais la législation a mis un coup d’arrêt à cette pratique. « La loi interdit les enchères inversées en matière de fixation du salaire, indique Etienne Pujol, avocat en droit social associé du cabinet STC Partners. Le contrat de travail qui en serait issu est considéré comme nul. »

Effets pervers

L’encadrement du recrutement sur Internet se renforce progressivement. La loi sur la cohésion sociale de 2005 a ainsi interdit la vente d’offres ou de demandes d’emploi. Les offres à caractère discriminatoire sont, quant à elles, encadrées par le code du travail, mais les nouveaux outils du recrutement 2.0 ont parfois des effets pervers, difficilement contrôlables. Ainsi, des enquêtes menées par le cabinet Mosaik RH et l’université Paris-Dauphine montrent que le CV vidéo, qui se banalise sur les sites de recrutement, augmente le risque de discrimination pour les personnes en surpoids ou au physique peu attrayant.

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« Les pratiques discriminatoires ont toujours existé, même avec les CV papier », relativise Jean-Christophe Anna. Cet expert en e-recrutement, directeur général de la société #rmstouch, est d’avis que les réseaux sociaux et les nouveaux outils du recrutement, comme les algorithmes utilisés par les sites d’offres d’emplois « affinitaires », permettent au contraire d’éviter les dérives, en rendant les recrutements plus transparents.

Le Web a considérablement augmenté le nombre d’annonces, ce qui rend leur régulation difficile. L’automatisation du traitement des dépôts d’annonces sur les sites de recrutement facilite ainsi la diffusion d’offres d’emplois illégales. Par exemple, le quotidien Le Parisien a révélé en décembre 2016 que pas moins de 4 700 offres d’emplois frauduleuses ont été débusquées sur le site même de Pôle emploi. Des systèmes de filtrage ont été mis en place pour contrôler les annonces, mais ils ne sont pas fiables à 100 %.

Enfin, Internet héberge aussi des sites de « jobbing », comme Jemepropose.com ou YoupiJob.fr, qui peuvent favoriser le travail au noir. Des particuliers y proposent leurs services contre une rémunération. Cette pratique « engage seulement la responsabilité du prestataire de services si celui-ci n’a pas le statut adéquat, celui d’autoentrepreneur par exemple », explique M. Pujol. L’hébergeur et le bénéficiaire du service, en revanche, ne peuvent pas être mis en cause. Lorsque le chômage incite les candidats eux-mêmes à brader leurs compétences, les zones d’ombre du recrutement 2.0 s’étendent.

Le Monde 08/03/2017