Sur le Web, Facebook se pose en pilier de la démocratie

Une nouvelle fonctionnalité a fait son apparition sur Facebook pour promouvoir les échanges entre élus et citoyens américains. L’entreprise franchit un pas de plus vers la gestion de la vie publique.

Petit à petit, Facebook fait son nid dans la démocratie. L’entreprise a introduit le 14 mars dernier Town Hall, une fonctionnalité qui met en relation les citoyens américains et leurs élus en quelques clics. L’utilisateur doit simplement entrer son adresse, et Facebook lui suggère un ensemble de pages de personnalités politiques le représentant à l’échelle locale, fédérale mais aussi nationale. Agrégeant toutes ces informations en un même onglet, le réseau social permet ensuite à l’utilisateur de suivre ou de contacter ses représentants politiques d’un simple clic sur un bouton. C’est la première fois que l’entreprise se glisse aussi explicitement au cœur du système démocratique en se faisant l’intermédiaire entre citoyens et élus. Jusqu’alors, elle s’était contentée dans ce domaine de rappeler le chemin des urnes à l’approche d’une grande élection.

Crédits: Facebook via Techcrunch
Crédits: Facebook via Techcrunch

Cette nouvelle fonctionnalité survient seulement un mois après la publication par Mark Zuckerberg d’un long manifeste, où le chef d’entreprise partage son désarroi face à un sentiment de «désunion» qu’il juge mondial. Il y défend le projet de restaurer autant que possible, grâce à Facebook, les liens qui unissent les communautés civiques. Niant toute velléité présidentielle, Mark Zuckerberg se fait en tout cas le chantre de la «civic tech», cet idéal d’entrepreneurs qui veulent améliorer la démocratie et plus largement, le monde, grâce à Internet et aux technologies.

Un impact immédiat pour plus d’un milliard d’utilisateurs

Avec Town Hall, Facebook reprend certaines idées emblématiques des entrepreneurs de la civic tech et des milieux associatifs. La forme d’annuaire de Town Hall s’apparente ainsi à de nombreux services d’information mis en place depuis des années par des militants, qui ont fait le travail de rassembler les coordonnées d’élus sur des sites Internet pour favoriser certaines pratiques de dialogue depuis plusieurs années. En France, l’association la Quadrature du Net a développé en interne le PiPhone, un outil pour être mis rapidement et gratuitement en relation avec un eurodéputé, sélectionné au hasard ou en fonction de critères particuliers (pays, groupe politique, commission…). Le principe d’un réseau social entre élus et citoyen repris par Town Hall est également le créneau de Fluicity, jeune pousse de la civic tech française, qui permet depuis 2015 aux habitants de certaines villes de débattre des propositions émises par leurs mairies.

Mais quand Facebook se met à son tour à ce type de pratiques, ses nouveaux outils ont un impact incomparable avec celui des associations et jeunes start-up. L’entreprise compte en effet plus d’un milliard d’utilisateurs et dispose de moyens financiers et techniques conséquents. Le Safety Check, né en avril 2015 au moment du tremblement de terre au Népal, en est l’une des illustrations les plus parlantes. Cette fonctionnalité détecte les utilisateurs du réseau social susceptibles d’être dans une zone affectée par un drame et leur propose de cliquer sur un bouton pour informer leurs proches qu’ils sont en sécurité. Facebook l’a activée le 13 novembre, lors des attentats de Paris et plus de 5 millions de Franciliens l’ont utilisée.

Les outils de Facebook ne sont pas neutres

Le Safety Check est un puissant outil et son utilisation n’est pas neutre. Facebook a ainsi créé la polémique en déclenchant le dispositif lors des manifestations à Charlotte (États-Unis) après la mort de Keith Scott, un Afro-Américain tué par un policier. D’après le réseau social, l’outil avait détecté de nombreux statuts s’inquiétant de ces événements. Beaucoup ont estimé que les manifestations n’avaient rien à voir avec un attentat ou une catastrophe naturelle et que le dispositif perpétuait le cliché de la supposée violence de la population afro-américaine. Le Safety Chek n’a pas non plus été activé pour un attentat à Beyrouth, qui a eu lieu la veille des attentats de Paris et a pourtant coûté la vie à 44 personnes. Cet oubli avait provoqué l’indignation des internautes libanais, forçant Facebook à présenter ses excuses. «L’indignation mondiale est sélective. Beyrouth n’a pas eu le droit à un Safety Check de la part de Facebook ou d’un discours d’Obama», avait tweeté l’économiste Mohamed El Dahsan.

Facebook n’impose pas seulement une vision de ce qui est dangereux ou non avec le Safety Check. Plus largement, ses conditions d’utilisations imposent une vision du monde sur des questions morales ou culturelles. Les photos de parties génitales et de fesses sont ainsi explicitement interdites, ainsi que celles des poitrines de femme dont on voit les tétons, à l’exception des photos d’allaitement ou après une mastectomie, mais les œuvres d’art montrant des corps nus restent théoriquement autorisées. En septembre dernier, le réseau social avait censuré la célèbre photo de la «petite fille au napalm», image emblématique de la guerre du Vietnam, pour cause de nudité. Il a dû s’en excuser auprès du gouvernement norvégien, qui lui avait reproché cette position. Dans son manifeste, Mark Zuckerberg revient justement sur cet exemple pour excuser cette «erreur de jeunesse» et annoncer que les paramètres de modération seront désormais personnalisables en fonction de son seuil de tolérance personnel ou de celui de zones géographiques.

Zuckerberg président

Cette prise de parole, comparée au discours sur l’état de l’Union prononcé par les présidents américains, avait conforté les soupçons des médias quant aux ambitions politiques de Mark Zuckerberg. Le Guardian avait toutefois pointé que le titre de président, Zuckerberg l’avait déjà. Il y a un peu plus de dix ans, le jeune étudiant d’Harvard avait fait rire les investisseurs en déclarant vouloir privatiser les relations privées. Une partie de cette ambitieuse prophétie s’est entre-temps réalisée. Facebook a fait l’acquisition de WhatsApp, l’application de messagerie privée la plus utilisée au monde avec un peu plus d’un milliard d’utilisateurs. Facebook s’est également fait une place dans le domaine de l’organisation événementielle. Pour des soirées d’anniversaire comme pour des festivals, la création d’un événement Facebook est devenue courante – si ce n’est indispensable. L’entreprise dispose aussi d’informations encore plus intimes sur les relations privées qui unissent ses utilisateurs: qui possède le numéro de qui, qui se trouve à proximité de qui, qui regarde avec convoitise le profil de qui…

Toutes ces informations privées ont fait la fortune de Facebook, qui dispose d’une régie publicitaire capable de promettre aux marques de cibler des utilisateurs en fonction de plus de 90 critères. Rien qu’avec les likes, il est possible de deviner avec une relative précision l’appartenance politique, religieuse, l’orientation sexuelle ou encore le passé familial d’un utilisateur. La fonctionnalité Town Hall ajoute une nouvelle dimension aux connaissances que détient Facebook sur ses utilisateurs. Ceux qui l’utilisent donnent immédiatement à Facebook des informations sur leurs affinités politiques en fonction des personnalités qu’ils suivent. S’ils décident d’échanger avec l’un de leurs représentants, Facebook est par nature en copie des échanges qui se font sur sa plateforme.