Bienvenue dans le cabinet médical du futur

Aux Etats-Unis, le secteur de la santé inspire les start-up, qui marient intelligence artificielle et big data pour inventer les consultations de demain. Fini le paiement à l’acte, place à l’abonnement.

Un fauteuil confortable, un stéthoscope connecté, un immense écran tactile et un logiciel de reconnaissance vocale toujours à l’écoute des conversations. En plein cœur de San Francisco, la start-up Forward tente d’inventer le cabinet médical du futur. « Un cabinet qui ressemble davantage à un Apple Store, lance Adrian Aoun, son fondateur et patron. Et qui apprend à vous connaître et devient meilleur avec le temps. »

« L’objectif, poursuit-il, c’est d’inverser le paradigme pour passer d’une médecine réactive à une médecine proactive. » Pour y parvenir, cet ancien de Google, où il supervisait les « projets spéciaux » auprès du directeur général Larry Page, mise sur le big data et l’intelligence artificielle. « Les médecins ont difficilement accès aux données de leurs patients. Ils ont besoin de meilleurs outils. »

Le cabinet Forward, qui a ouvert ses portes en janvier, a ainsi été conçu pour récolter le maximum d’informations. En arrivant, le patient passe d’abord un examen sur un scanner corporel, développé par les ingénieurs de la société. En 45 secondes, son poids, sa taille, sa température, son rythme cardiaque ou encore sa pression artérielle sont enregistrés. Il se dirige ensuite vers une salle d’examen pour une prise de sang, dont l’analyse est réalisée dans un laboratoire installé sur place. Douze minutes suffisent pour obtenir les résultats. Un échantillon de salive est aussi prélevé pour un test ADN, afin d’établir les risques de cancers d’origine génétique.

Toutes ces données alimentent automatiquement un profil informatique. « Nos praticiens ne perdent plus de temps à entrer les données manuellement sur leurs ordinateurs », souligne M. Aoun. Sur un écran tactile, le médecin passe alors en revue les principaux éléments, pour établir des diagnostics et former des plans d’action. Les discussions sont également écoutées par une intelligence artificielle, capable, selon M. Aoun, de distinguer les informations méritant d’être ajoutées au profil du patient.

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La collecte de données ne s’arrête pas là. Forward fournit des objets connectés à ses patients. Des produits grand public, comme des bracelets, des balances et des moniteurs de sommeil. Mais aussi des capteurs électrocardiogrammes ou des capteurs pour les patients atteints de cataracte et glaucome. Ces données sont analysées par un algorithme informatique, qui prévient les médecins en cas d’évolution anormale. Leur recueil permet aussi d’établir un programme de tests et d’examens pour la prochaine visite.

Un abonnement mensuel

Les patients de Forward peuvent accéder en temps réel à leur profil par l’intermédiaire d’une application mobile à l’apparence très épurée. Ils peuvent aussi prendre rendez-vous en quelques clics et parler avec un professionnel de santé « à tout moment, dans les 90 secondes », assure M. Aoun.

Forward se distingue également par son modèle économique : pas de paiement à l’acte, mais un abonnement mensuel de 149 dollars (139 euros). Pour ce prix, ses clients disposent d’un nombre illimité de consultations, peuvent se faire vacciner, avoir accès à des nutritionnistes ou des gynécologues… Et la société fournit gratuitement des médicaments génériques. « L’abonnement ne se substitue pas entièrement à une assurance-santé », concède toutefois M. Aoun. Elle demeure en effet nécessaire pour consulter certains spécialistes ou subir des interventions chirurgicales.

Mais Forward pourrait bien constituer une alternative meilleur marché pour les patients aux profils les moins risqués. Aux Etats-Unis, une assurance-santé coûte en effet plusieurs centaines de dollars par mois. Les remboursements restent le plus souvent limités. Sans compter d’importantes franchises, parfois jusqu’à 5 000 dollars par an. « A plus grande échelle, nous allons pouvoir réduire ce prix », espère Adrian Aoun. Sans fournir le nombre de patients, il assure attirer toutes les catégories d’âge. Et même des entreprises qui fournissent ce service à leurs employés.

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L’entrepreneur n’est pas le premier à se lancer à l’assaut de la santé. La start-up One Medical propose déjà un service sur abonnement (149 dollars par an), avec plus de 50 cabinets ouverts aux Etats-Unis. Mais le modèle diffère : si les consultations par téléphone ou vidéoconférence sont gratuites, les patients continuent de payer à chaque fois qu’ils se rendent chez le médecin. A New York, Oscar, un assureur santé 2.0, a également ouvert, fin 2016, un cabinet accessible gratuitement à ses clients.

Investisseurs de renom

L’intérêt dépasse le simple cadre des consultations. Depuis 2014, les start-up liées à la santé ont levé plus de 13 milliards de dollars aux Etats-Unis, selon les décomptes du fonds de capital-risque Rock Health. L’an passé, Human Longevity, qui veut créer la plus grande base de données sur le génome humain, a récolté 220 millions de dollars. Et Flatiron Health, qui conçoit des logiciels utilisés dans la lutte contre les cancers, a rassemblé 175 millions. « C’est un secteur en manque d’innovations que la technologie peut transformer en profondeur », explique M. Aoun.

L’activité ne semble pas trop souffrir des déboires de Theranos, très certainement le plus gros fiasco de ces dernières années dans la Silicon Valley. Cette start-up, un temps valorisée 9 milliards de dollars, prétendait révolutionner les analyses de sang. Mais les autorités américaines ont épinglé ses protocoles et la fiabilité de ses machines, sanctionnant sa fondatrice et ordonnant la fermeture de ses laboratoires. La société a depuis changé de cap, et licencié la plus grande partie de ses salariés.

Profitant de son réseau, Adrian Aoun a séduit un groupe d’investisseurs de renom, comme Eric Schmidt, le président d’Alphabet, la maison mère de Google, Marc Benioff, le fondateur et patron de Salesforce.com, ou encore les fonds Khosla Ventures et Founders Fund. Selon la presse américaine, Forward, qui compte une quarantaine d’employés, dont la moitié d’ingénieurs, aurait levé 30 millions de dollars. « Il nous faudra encore beaucoup plus d’argent », reconnaît cependant son fondateur.

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L’entrepreneur espère en effet ouvrir de nouveaux cabinets, d’abord aux Etats-Unis puis potentiellement à l’étranger, « et un hôpital dans les dix ans ». « Nous voulons tout rebâtir de zéro », ajoute-t-il. Ses ambitions s’étendent des logiciels dopés à l’intelligence artificielle jusqu’aux instruments du médecin – en plus du scanner corporel, la société a, par exemple, conçu un outil infrarouge qui permet de trouver les veines pour une prise de sang. Car, prophétise le patron de Forward, « la technologie doit permettre de résoudre l’arbitrage entre la qualité des soins et leur coût ».

  • Jérôme Marin (San Francisco, correspondance)

Le Monde 31/03/2017