La mobilité de demain conditionnée par l’offre de transports et l’appétence digitale des citoyens

La Tribune a rassemblé 350 personnes aujourd’hui pour la 3e édition du Forum Smart City Bordeaux placé sous le thème « Sérénité et confiance, la ville heureuse ». Les premiers échanges de cette journée riche en débats, qui proposait également d’explorer les questions du logement, de la sérénité numérique et de l’énergie, étaient consacrés au thème de la mobilité de demain. Pour en débattre : Bruno Marzloff (Chronos), Raphaël Cherrier (Qucit) et Eric Chareyron (Keolis).

Les premiers débats du Forum Smart City organisé aujourd’hui au Palais de la Bourse de Bordeaux par la Tribune étaient consacrés à la mobilité de demain. Pour aborder une question centrale de cette 3e édition du forum, étaient réunis autour de Dominique Pialot, journaliste à La Tribune, Bruno Marzloff, sociologue, fondateur du cabinet Chronos spécialisé dans les usages émergents dans les villes et les territoires, Raphaël Cherrier, président de Qucit, et Eric Chareyron, directeur de la prospective, modes de vie et mobilité dans les territoires du groupe Keolis.
Bruno Marzloff est intervenu en préambule à cette table ronde : comment rendre la ville humaine et réinventer les liens de confiance entre les habitants, entre les habitants et la gouvernance, entre la gouvernance et les acteurs économiques, avec des projets qui tiennent compte de toutes les fragilités de la ville. Il est revenu sur la notion de reliance, entre les villes, entre les habitants.

« Tout cela doit fortement raisonner avec la question d’une nouvelle définition de la smart city : pour moi, c’est la capacité de s’adapter de manière radicale à une nouvelle situation, d’assumer la rupture. Nous vivons dans une période de rupture, dans la mobilité c’est clair. Google est le premier acteur de la mobilité au monde, Amazon, le premier producteur de mobilité au monde, on peut aussi citer Uber ou Blablacar. Tous ont une caractéristique commune : ils se sont affranchis des règles du marché telles qu’elles existaient. Covoiturage, commande à distance, télétravail : les usagers aussi inventent. »

Une transition qui, pour les pouvoirs publics, implique une capacité à réguler. Dans ce secteur où les innovations bouillonnent, l’enjeu est fort concernant la manière d’évaluer les différentes mobilités.  Eric Chareyron, de Keolis, explique que la démarche est de coller aux attentes des citoyens alors que le groupe s’est doté d’un vaste système de suivi avec l’Observatoire des mobilités digitales. « C’est un défi très difficile dans ce monde en rupture. »
C’est ce que propose Qucit, dont le président Raphaël Cherrier :

« L’objectif est de rendre la ville plus efficace plus agréable plus durable : dans 10 ans, il y aura 50 fois plus de data dans les villes, l’enjeu est de pouvoir les traiter. »

Bruno Marzloff, de groupe Chronos, insiste sur l’inversion de modes de mobilité citant l’exemple de différentes initiatives, comme à Bruxelles qui, il y a une dizaine d’années, a imaginé le code de la rue avec une priorité aux piétons. Oslo a lancé un programme que Bruno Marzloff qualifie « d’une ambition folle » qui consiste à éradiquer la voiture particulière d’ici à 2019, sur le principe de l’inversion des modes de déplacements et de l’espace : piéton, vélos, transport public, offre de partage, où l’ensemble du dispositif de la data va permettre d’articuler l’ensemble de ces modes de déplacement, où le piéton domine le dispositif.

Cassure sur l’appétence au digital

Deux exemples de l’inversion de la hiérarchie des modes de mobilité, que regarde attentivement Paris, où 7 places sont en cours de réaménagement pour donner plus d’espace aux piétons. C’est le cas à Nation, où intervient Qucit dans une démarche de data-driven. Principe : utiliser la data avant d’envoyer les bulldozers. Qucit évalue les flux de piétons mais va plus loin en mesurant le ressenti  des piétons sur la place, en tenant compte de tout leur environnement : proximité de la circulation, présence d’arbres, de bancs, niveau sonore, météo au moment du sondage.

« Nous proposons un modèle de machine learning contextuel, on sort les facteurs qui impactent le stress, etc. Nous avons déjà interrogé 1.300 personnes. »

En matière de ville intelligente, Qucit fait bien d’autres choses, puisque la société bordelaise a commencé en 2014 le prédictif sur le VCub, une première mondiale qui est aujourd’hui utilisée au Canada par exemple pour le rééquilibrage des stations de vélos et places disponibles.

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Même démarche sur le stationnement en voirie avec City Parc pour Bordeaux Métropole qui permet de mesurer le temps que met un automobiliste pour trouver une place.

« Google fait la même chose aujourd’hui, ils ont plus de données mais nous avons les mêmes résultats aujourd’hui car nous remettons les données dans leur contexte avec les restaurants autour, les services, etc. ce qui nous permet de compenser notre déficit de données par rapport à Google », assure Raphaël Cherrier.

Eric Chareyron rappelait, à l’aune de ces exemples de ce qu’est capable de faire Qucit, deux piliers de la smart city : améliorer l’efficience des politiques publiques par l’utilisation de la donnée et rendre la ville plus heureuse. Pour Keolis, la nécessité est de comprendre les attentes des différents territoires,  rappelant qu’il existe une cassure terrible sur l’appétence au digital en fonction de la taille des territoires, se basant sur des études menées par Keolis. Pour lui les solutions ne sont pas uniquement digitales :

« Dans les villes moyennes détrôner la voiture est difficile, nous ne sommes pas sur des  territoires urbains », insiste-t-il.

Il est notamment revenu sur une étude de l’observatoire numérique du Credoc qui révèle que, certes, 65 % des Français ont un smartphone, mais possession ne veut pas dire usage, appétence, aisance et envie. Ce qui se traduit dans les chiffres par le fait que 40 % des gens sont en fait connectés en numérique 1.0, soit simplement pour les vidéos, la musique, les réseaux sociaux ou les films, mais pas pour les applications. Seulement 30 à 35 % sont à l’aise avec les usages avancés, quand 40 % en sont totalement exclus.

Volonté politique

Bruno Marzloff a réagi en disant souscrire à cette rupture, en mettant deux bémols : en deux ans, la croissance des usages des applications liées à la mobilité a été très rapide, et par ailleurs pour assurer cette évolution, encore faut-il que l’offre soit suffisante. Il rappelait ainsi que seulement 16 % des habitants du rural ont le choix entre le véhicule particulier ou un autre mode de transport, contre 80 % à Paris. Ou comment rappeler que les nouveaux usages ne dépendent pas seulement de l’appétence au numérique…

« La question du choix est donc fondamentale, surtout en milieu rural : cela interpelle les acteurs publics comme les startups : c’est là défi de l’innovation », insiste Bruno Marzloff.

Pour y arriver, Eric Chareyron (directeur de la prospective, modes de vie et mobilité dans les territoires du groupe Keolis) témoigne d’une confiance « énorme » dans les outils digitaux : pour la réactivité des opérateurs, la personnalisation des offres, le coaching. L’important est de définir comment faire en sorte que la majorité de la population y ait accès : les plus agiles comme les plus éloignés du numérique, parce que marqués par une fragilité cognitive, physique, etc.

« On a laissé filer la voiture particulière au prétexte de la liberté, mais est-ce vraiment une liberté de subir deux heures de bouchons par jour ?, questionne Bruno Marzloff. Donc l’enjeu est de promouvoir la mobilité choisie au détriment de la mobilité subie, il y a une demande des usages, reste la volonté

politique. »