Energy Observer, un laboratoire flottant pour les systèmes énergétiques du futur

Doté de 130 mètres carrés de panneaux solaires, d’éoliennes et d’une chaîne de production d’hydrogène, ce catamaran permettra notamment de tester les réseaux électriques fermés.

Les heureux invités, ce jeudi 6 juillet à Paris, au baptême officiel d’Energy Observer par ses parrains Nicolat Hulot et Florence Lambert, directrice du CEA-Liten, admireront un catamaran spectaculaire, s’apprêtant à faire le tour du monde sans voile ni moteur grâce à des énergies renouvelables. Volontiers rebaptisé le « Solar Impulse des mers », ce bateau du futur est toutefois bien plus que cela. Tapissé de 130 m2 de panneaux solaires, dominé par deux petites éoliennes à axe vertical, ce projet porté par le navigateur Victorien Erussard, capitaine du bateau, et l’explorateur-réalisateur Jérôme Delafosse, chef de l’expédition, est en réalité un laboratoire flottant, qui doit permettre de tester les systèmes énergétiques du futur.

« La grande originalité d’Energy Observer, c’est son caractère multi-énergies », explique Florence Lambert, dont le laboratoire a été fortement mobilisé pour la conception d’Energy Observer. « La coexistence de réseaux électriques et de chaleur avec l’hydrogène va nous permettre de préfigurer les réseaux de demain, alors que le monde de l’énergie vit une énorme révolution : on ne sera bientôt plus sur un mode centralisé, avec de grosses unités de production d’électricité, ensuite distribuée dans chaque foyer ». La multiplication des petites centrales solaires ou éoliennes, liée à la chute du coût des énergies vertes, a en effet entraîné une foule de nouvelles questions pour les énergéticiens : comment intégrer ces nouvelles productions dans le réseau électrique, comment gérer leur intermittence…

Véritable concentré de technologies, Energy Observer doit jouer le rôle d’un démonstrateur, en conditions extrêmes, des nouvelles technologies envisagées pour répondre à ces questions. Son objectif : atteindre l’autonomie énergétique, grâce à son mix électrique original, ses capacités de stockage à court et à long terme et son système de gestion de l’énergie. Et ce sans aucune émission de gaz à effet de serre.

Hydrogène par électrolyse

Ses panneaux solaires et ses éoliennes produisent de l’électricité lorsqu’il y a du soleil et du vent, et le surplus est stocké à court-terme dans des batteries Lithium-ions. Pour le stockage à plus long terme, c’est l’hydrogène qui est utilisé. Permettant d’embarquer vingt fois plus d’énergie que les batteries à masse égale, cet hydrogène est fabriqué par électrolyse d’eau de mer, préalablement désalinisée : grâce à un courant électrique, un électrolyseur sépare l’hydrogène et l’oxygène contenus dans la molécule d’eau.

L’hydrogène est ensuite stocké, sous forme gazeuse, dans huit réservoirs étanches. Et, en cas de besoin, une pile à hydrogène lui permettra d’être retransformé en électricité, grâce à une réaction chimique avec l’oxygène de l’air – une réaction ne provoquant par ailleurs que des émissions de chaleur et de vapeur d’eau. Un kite, aile volante géante de 50 mètres, sera aussi utilisé pendant les grandes traversées : il servira d’assistance au moteur, et pourra lui permettre de produire lui-même de l’énergie par hydrogénération (en continuant de tourner, l’hélice fournira de l’énergie à la manière d’une dynamo).

Energy Observer va permettre de tester certaines technologies développées par le CEA-Liten, telles que les panneaux photovoltaïques à « hétérojonction ». « Ces panneaux ont un rendement de 23 %, alors que dans l’industrie on est plutôt aujourd’hui à 17 ou 18 %, notamment parce qu’ils sont dotés d’une architecture dite « biface », capable d’absorber les photons des deux côtés de la cellules », explique Florence Lambert. Ces panneaux ont aussi ont dû être adaptés à la forme du bateau, et être galbés de sorte à pouvoir être fixés sur la coque.

Pile à combustible

De même le CEA-Liten testera les performances de ses batteries, de l’électrolyseur ou de la pile à combustible développés spécialement pour ce projet. « Sur tous ces sujets, nous travaillons déjà avec des industriels. Energy Observer doit permettre d’accélérer le transfert de technologie et de passer à une phase industrielle », poursuit-elle.

Enfin, les ingénieurs du Liten attendent énormément du système de pilotage de l’ensemble. Celui-ci doit permettre d’optimiser l’utilisation de chaque équipement, afin de distribuer au mieux la production d’énergie en fonction des différents besoins (propulsion, électricité à bord, stockage, etc). « Nous sommes partis d’une feuille blanche plutôt que de mettre les différentes briques côte à côte », explique Didier Bouix, le chef du projet au CEA-Liten. « Cela nous a permis de proposer une architecture totalement originale, permettant d’orchestrer tous les flux, électriques, mécaniques, ou fluidiques : une approche complexe compte tenu du nombre d’interfaces existant entre ces différents flux ». Le système doit en outre intégrer une notion de frugalité, pour éviter toute déperdition. « Il s’agit d’utiliser chaque énergie à bon escient, de valoriser la chaleur émise par la pile à combustible pour chauffer l’eau sanitaire par exemple », dit Florence Lambert.

Produire de l’énergie propre localement, la valoriser, la consommer avec parcimonie, de préférence au moment où l’on produit, savoir la stocker…: le retour d’expérience qu’apportera Energy Observer sera extrêmement utile pour la gestion intelligente de réseaux fermés, les fameux « micro-grids ». Déjà à l’oeuvre dans certaines zones, comme les îles ou des régions isolées d’Afrique, ils vont à coup sûr se développer et peut-être même, un jour, se généraliser.

Race For Water, un projet similaire

Energy Observer n’est pas le seul bateau à vouloir tester un mix énergétique incluant l’hydrogène. En Suisse, le projet de la Fondation Race For Water, qui a recyclé l’ancien catamaran solaire PlanetSolar, est basé sur une idée similaire : il s’agit de tester un bateau 100 % autonome grâce au couplage de panneaux solaire et d’hydrogène, en partenariat avec la société Swiss Hydrogen. Lui aussi équipé d’un kite et doté de 500 m2 de panneaux solaires, Race for Water est cependant plus volumineux qu’Energy Observer : il dispose de deux moteurs électriques de 60 kw de puissance chacun. Le projet a en outre un autre objectif : développer des technologies capables de transformer des déchets plastiques en énergie. La fondation s’est pour cela associée à la société d’ingénierie française ETIA, spécialisée notamment dans le traitement des déchets. Elle prévoit de réaliser un pilote à l’automne. En attendant, l’expédition a démarré son tour du monde, qui doit durer cinq ans : Race For Water a quitté Lorient le 9 avril dernier pour les Bermudes. Le 7 juillet, il appareillera pour sa prochaine étape, Cuba.

Les Echos 04/07/2017