» Les JO permettraient de démocratiser l’e-sport « 

Le directeur général France de l’éditeur Riot propose la création d’un organisme de régulation de l’e-sport pour échanger avec le CIO

Après le surf aux Jeux olympiques de Tokyo en  2020, les compétitions de jeux vidéo aux olympiades de Paris en  2024 ? L’idée, qui semblait encore incongrue il y a un an, commence à faire son chemin, alors que l’e-sport parvient à réunir des dizaines de millions de spectateurs en direct chaque automne pour la finale des championnats du monde de son jeu phare, League of Legends. Etreprésente désormais un marché estimé à plus de 800  millions de dollars (672 millions d’euros), selon SuperData. Samedi et dimanche derniers, ils étaient 19 000 aficionados dans les gradins de l’Accor-Hotels Arena de Paris à assister aux finales au niveau européen.

Mi-août, Tony Estanguet a entrouvert la porte.  » Il faut qu’on s’y intéresse parce qu’on ne peut pas dire “ce n’est pas nous. Ça ne concerne pas les Jeux olympiques” « , a déclaré le coprésident du comité Paris 2024.  » Les jeunes, oui ils s’intéressent à l’e-sport et ce genre de choses. Regardons tout ça. Rencontrons-les. Voyons si nous pouvons établir des liens. «  Depuis, le Comité international olympique (CIO) a rappelé ses exigences, notamment en termes de représentation de la violence.

En marge des championnats d’Europe de League of Legends, Le Monde a rencontré le directeur général de la branche française de sa société éditrice, Guillaume Rambourg. Il estime nécessaire de réunir acteurs de l’e-sport et des Jeux olympiques autour d’une table, quitte à créer un organisme qui assure la liaison.

L’organisation des finales européennes du jeu  » League of Legends « , qui se sont tenues le week-end dernier à Paris, s’inscrit-elle dans un projet de développement plus général de l’e-sport en France ?

En fait, le timing est plutôt heureux. Nous avions programmé cet événement à Paris depuis de nombreux mois. Et puis Tony Estanguet, le coprésident du comité Paris 2024, a annoncé mi-août qu’il souhaite à la rentrée faire un tour de table avec tous les acteurs de l’e-sport pour mieux comprendre la discipline et entamer un dialogue. Plus récemment, Thomas Bach, le président du CIO – Comité international olympique – , a expliqué que l’e-sport était potentiellement un axe à développer, mais que les jeux vidéo se devaient d’être moins violents. Nous sommes ouverts au dialogue. Et si je compare à des disciplines comme la boxe, le judo, l’escrime, ou le tir au pistolet, on peut se demander si League of Legends est si violent que ça.

Je pense que nous pouvons remplir certains critères d’éligibilité du CIO. Par exemple, League of Legends est universel, car il compte 100  millions de joueurs dans le monde, et accessible, le jeu étant gratuit. Toutefois, deux critères suffisent-ils ? Proba-blement pas. Mettons donc de côté les idées préconçues ou les préjugés sur le jeu vidéo et entamons une conversation pragmatique et intelligente pour voir ce que l’on peut faire.

Intégrer les JO de 2024, est-ce désormais une ambition assumée pour l’éditeur Riot Games et votre jeu  » League of Legends  » ?

Ce n’est pas une fin en soi. Certes, League of Legends est une discipline compétitive, qui se joue en équipe, avec une dimension tactique, stratégique, mécanique… Il y a de nombreux points communs avec le sport, mais on ne cherche pas vraiment à mettre d’étiquette. Notre objectif est de créer une pratique cérébrale et compétitive, qui fasse plaisir aux joueurs du monde entier.

Maintenant, il est certain que les Jeux olympiques permettraient de démocratiser l’e-sport et expliquer au monde entier en quoi consiste cette discipline. Il y a un vrai travail d’éducation et de synthèse à faire et les Jeux olympiques seraient la scène idéale pour cela. D’autant que l’on a de nombreuses valeurs en commun. Nous faisons tout pour promouvoir le fair-play, le jeu d’équipe, des valeurs saines et positives, nos joueurs ont des préparateurs psychologiques et physiques pour avoir un esprit sain dans un corps sain… Mais il faut que l’on réfléchisse au format qui serait pertinent pour l’introduire aux Jeux olympiques.

Les Jeux olympiques fonctionnent par nations, ce qui est très éloigné du modèle de  » League of Legends « …

C’est vrai, aujourd’hui l’e-sport est surtout constitué de clubs. Tôt ou tard, il faudra se pencher sur la dimension  » pays « , c’est certain. Pour cela, il faut déjà des scènes locales fortes et compétitives, avec d’importants viviers de talents locaux, et par ricochet une forte identification aux équipes. C’est la prochaine étape pour nous. On pourrait apprendre beaucoup du CIO et de leur capacité à démocratiser un sport dans le monde entier. Il y a des points de vue très intéressants à échanger.

Comment accepter qu’une discipline soit un jeu promu par une entreprise privée ? Rien n’est plus éloigné des valeurs de l’olympisme.

Il est certain que les valeurs de Pierre de Coubertin étaient des valeurs universelles, dans lesquelles les intérêts privés n’entraient pas en ligne de compte. Toutefois, si je prends un sport parmi tant d’autres, le football, est-ce encore le sport du peuple quand on voit le droit de regard de la FIFA, et à quel point la discipline est devenue privatisée ?

Nous devons dialoguer, regarder la situation avec pragmatisme et honnêteté des deux côtés. Et s’il faut un jour créer un organisme mondial de régulation de l’e-sport, qui soit l’interlocuteur privilégié du CIO, nous sommes ouverts à tout.

Quel bilan tirez-vous des finales européennes du jeu  » League of Legends  » de ce week-end ?

Le bilan est plutôt positif. Du côté de l’affluence tout d’abord, 19 000 personnes sont venues assister à la compétition. C’est notre record pour une finale européenne. Le précédent était de 12 000 spectateurs, à Hambourg (en avril). Ensuite, nous avons pu prouver que le public français est passionné : il est venu paré de couleurs, de baguettes de pain… On a essayé d’amplifier ça localement avec des codes issus du football, avec des tambours, des chants lancés au mégaphone, etc. L’ambiance était assez folle. Enfin, il y a aussi eu de l’émotion. A l’image du joueur Rekkles, qui a connu des moments difficiles cette saison, et a fini sous les hourras de la foule. Il avait les yeux mouillés. Ou encore de ce petit Français de 18 ans, Hans Sama, arrivé en finale. Il a perdu, mais je pense que ça a été une expérience formidable pour lui et ses parents.

PROPOS RECUEILLIS PAR William Audureau

© Le Monde 06/09/2017