Avec l’arrivée du numérique et des nouvelles technologies, les entrepreneurs inventent de nouveaux modèles économiques qui modifient en profondeur nos modes de production, le marché de l’emploi et notre façon de travailler. Dans cette rubrique, Nicolas Hazard décrypte les grandes tendances de ces entreprises qui changent l’économie et fait chaque mois le portrait d’une start-up qui illustre la manière dont notre société se transforme. L’application américaine Chegg surfe sur les métiers de l’éducation.
La transformation digitale de notre société n’épargne aucun métier. Nous avions eu l’ubérisation des tâches quotidiennes avec TaskRabbit, l’agonie du métier de taxi avec Uber, la déferlante des métiers de l’hôtellerie avec Airbnb. Doit-on désormais craindre une disparition des professeurs de la fonction publique avec les applications mobiles de pédagogie en ligne ?
L’application américaine Chegg offre plusieurs services pour aider les étudiants en difficultés : cours et exercices en ligne, service de tutorat, e-livres, informations sur les bourses et subventions, offres de stages et emplois… Une application tout en un qui fait fortement concurrence au système éducatif public, au risque – sur le long terme – de remplacer les professeurs par une école virtuelle disponible à la demande.
Grâce à sa plateforme en ligne de tutorat, Chegg facilite l’enseignement pour les étudiants américains nécessitant un appui pédagogique. Sur son site (décliné en application), les élèves peuvent contacter un tuteur, 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24. Chacun derrière son ordinateur, élèves comme professeurs, peut corriger ensemble et de manière instantanée les exercices de leur cours.
Légitimité pédagogique
Pour exercer, les tuteurs doivent justifier d’une légitimité pédagogique. Ainsi, Chegg leur demande d’avoir eu une première expérience dans l’enseignement ainsi qu’un diplôme de niveau bac + 4 au minimum. Les matières enseignées sont variées : de la physique à la psychologie. Rémunérés 20 dollars maximum de l’heure (soit près de 18 euros), les élèves peuvent les noter après chaque leçon, comme le ferait un client d’Uber sur l’application.
Selon Dan Rosenweig, Président de Chegg, son site connaît une telle réussite aux États-Unis, qu’en août 2014, 50 % des étudiants américains au collège l’utilisaient et près de 500 000 étudiants s’en étaient servis dès les six premiers mois. À sa création en 2005, l’ex start-up de Santa Clara avait soulevé 195 millions de dollars (173,5 millions d’euros). Depuis son entrée en Bourse en 2013, elle pèse désormais presque le double et emploie aujourd’hui 709 personnes.
Si le succès de Chegg s’explique par son rôle de « service après-vente » une fois l’école terminée, il s’explique également parce qu’il répond aux manques du système scolaire, dont les conseillers d’orientation font parfois cruellement défaut. Chegg diffuse des offres de stages et d’emplois, le montant des salaires en fonction des professions, et met à disposition des vidéos d’employés qui expliquent leur métier.
Peu probable que cela débarque en France ? Pas si sûr. La création en France Kartable.fr (site qui propose des cours et services en lignes) montre que la pratique gagne aussi le vieux continent. De quoi sans doute aider ceux qui ont les moyens de bénéficier de ce type d’accompagnement. Pour les autres, il reste l’école publique. Reste à savoir si elle capable de soutenir de manière individualisée tous ses élèves et si elle a bien pris le virage de la révolution numérique…
Le Monde 07/10/2015