Constatant une « industrialisation » du modèle, les professionnels demandent une nouvelle réglementation.
TOURISME « Quand vous croyez séjourner chez Fabien et que vous réalisez qu’il y a 142 appartements à son nom sur Airbnb, on n’est plus dans une économie du partage ! », lance Laurent Duc, président de la branche l’hôtellerie de l’UMIH, première organisation patronale en France. Parlant « d’industrialisation », « concurrence déloyale », « tromperie », « économie grise » et « publicité mensongère » à propos du slogan « Bienvenue à la maison » utilisé par Airbnb, les professionnels sont vent debout contre l’expansion des sites de location d’appartements entre particuliers. À commencer par le premier d’entre eux, l’américain Airbnb, devenu incontournable.
L’UMIH dénonce d’abord une expansion « incontrôlée » à Paris. Si la capitale française est la ville la plus visitée au monde, elle est aussi devenue la première ville pour Airbnb. Le site revendique plus de 50 000 logements en Ile-de-France. Dans l’Hexagone, Airbnb propose de plus de 150 000 hébergements, contre 7 000 seulement en 2012.
Multipropriétaires
Séjourner ailleurs qu’à l’hôtel en voyage est de plus en plus plébiscité. Selon le Comité régional du tourisme (CRT) Paris Île-de-France, 8 % des touristes français et étrangers séjournent désormais dans des hébergements non marchands. Toutes les catégories d’hôtels sont touchées, jusqu’aux palaces. Si les voyageurs cherchent à vivre une expérience de vie locale chez l’habitant, ils sont aussi attirés par des prix plus compétitifs qu’à l’hôtel.
Les professionnels voient rouge. « Cet été, tous les hôteliers m’appelaient pour me dire qu’il y avait visiblement beaucoup plus de touristes et pourtant moins d’occupation dans leurs établissements », raconte Roland Heguy, président de l’UMIH, pour qui le phénomène concerne 500 000 à 600 000 logements (sur Airbnb, Homelidays, Abritel…). Il s’insurge contre « la dérive d’un système, où des investisseurs s’engouffrent en mettant à la location des dizaines d’appartements sans respecter aucune législation ».
« À New York, les propriétaires de plus de 2 appartements génèrent 37 % des revenus d’Airbnb, rappelle Frédéric Pierret, directeur général de l’Alliance 46.2, qui regroupe 20 parmi les plus grandes entreprises du tourisme en France. Le plus important en contrôle 272. Le phénomène s’étend à Paris, où 19 % des logements sont loués par des propriétaires de plusieurs appartements. Le plus gros en a 173. Une part importante de l’offre d’hébergement est en train de basculer dans l’économie souterraine ».
Selon l’UMIH, à Paris, les annonces des multipropriétaires représentent un tiers du chiffre d’affaires d’Airbnb. Le syndicat souligne aussi que 25 % des offres du site à Paris rapportent plus de 1 500 euros par mois et génèrent 75 % du chiffre d’affaires parisien. 35 % des offres sur la capitale sont disponibles plus de 120 jours par an. « Le profil de Fabien et ses 142 annonces est trompeur », insiste Roland Héguy.
L’UMIH veut une nouvelle réglementation. « La législation sur la location saisonnière de meublés touristiques existe, il faut l’appliquer sans la dévoyer, insiste Jacques Barré, président du GNC, le groupement national des chaînes (AccorHotels…). Certains en abusent en louant simultanément plusieurs dizaines de chambres ou appartements, alors qu’ils devraient être soumis à d’autres législations plus contraignantes ».
Pour les particuliers, l’UMIH demande que toute location soit déclarée en mairie, y compris les résidences principales. Ceci pour éviter des profils comme celui de Fabien et ses 142 appartements. « En générant plus de transparence, nous dissuaderons ceux qui profitent du système en toute illégalité, pense Jacques Barré. Nous nous emploierons dans le cadre de la loi (Macron 2) à faire porter des amendements permettant de mettre fin à ces manques d’équités ».
L’UMIH souhaite aussi fixer un plafond de 52 jours de location par an, avec une présence obligatoire de l’hôte pour accueillir les touristes. Citant un rapport du Sénat, selon lequel 15 % des personnes interrogées en 2014 dans le cadre d’une étude BVA avaient l’intention de déclarer leurs revenus issus de l’économie collaborative, le syndicat souhaite aussi que les plateformes envoient aux loueurs un rappel déclaratif fiscal en fin d’année.
À New York, la réflexion a commencé il y a deux ans et il est interdit de louer un appartement moins de 30 jours consécutifs, pour les multipropriétaires. « Barcelone a pris des mesures draconiennes face à l’ampleur des nuisances d’appartements loués à l’année à des touristes en centre-ville, souligne Roland Héguy. Il est désormais interdit de louer son appartement à la nuitée et un certificat d’habitabilité est exigé par la mairie. Les récalcitrants risquent de lourdes amendes ».
Interrogé, Airbnb a réagi aux chiffres de l’UMIH en affirmant que qu’à Paris, 9 hôtes sur 10 n’ont qu’une seule annonce et que la grande majorité de ceux-ci (83 %) louent leur résidence principale de manière occasionnelle. « Nous informons en permanence nos hôtes qu’ils doivent s’engager à prendre connaissance des lois en vigueur et à les respecter via une déclaration sur l’honneur », déclare aussi le site. De conclure : « Airbnb ne vole pas de parts du gâteau : elle fait grossir ce gâteau ».
Le Figaro 23/10/2015