Les pays scandinaves, pionniers de l’économie décarbonée

Au Danemark et en Suède, la moitié de l’électricité est déjà renouvelable et elle l’est dans sa quasi-totalité en Norvège. La transition énergétique nourrit la croissance scandinave.

Il n’y aura pas d’autre croissance économique que verte. » Marianne Karlsen, représentante du ministère norvégien de l’Environnement, ne parle pas à la légère. Depuis 1995, le PIB cumulé des cinq nations scandinaves a progressé de 45 %, alors qu’ils enregistraient une baisse lente mais continue (-17 %) de leurs émissions de CO2. En, quelques décennies, les énergies fossiles, encore assez présentes dans les transports, se sont retrouvées presque totalement marginalisées dans la production d’énergie.

Quasiment toute l’électricité (98 %) consommée par les Norvégiens provient des barrages, tandis que l’Islande est devenue la championne de la géothermie. Au Danemark, la moitié des gigawattheures produits dans le pays sont d’origine éolienne. Autant qu’en Suède, où cette ressource fait jeu égal avec une énergie nucléaire de plus en plus jugée dérangeante mais qui reste incontournable. Comme elle l’est – pas toujours avec bonheur – pour la Finlande, où la part de la biomasse dans le « mix » énergétique est de 16 %. Aujourd’hui, 67 % de l’énergie fournie par ces cinq pays est renouvelable.

Ce score n’a pas été atteint sans effort. La Suède s’est dotée d’une taxe carbone très lourde (entre 80 et 110 euros la tonne selon les utilisateurs). Même chose au Danemark, où la note de chauffage des ménages a explosé. La réussite énergétique de ces pays tient aussi aux solides coopérations nouées au sein du Conseil des pays nordiques. Une sorte de Communauté européenne avant l’heure (sa création remonte à 1952) où les gouvernements coordonnent toutes leurs politiques, notamment énergétiques. « C’est cette structure qui a permis de faire que nos réseaux électriques nationaux soient interconnectés », raconte Hans Jorgen Koch, le directeur du Nordic Energy Research. Quand le vent se met à fléchir sur son territoire, le Danemark importe l’électricité hydraulique norvégienne. De quoi rendre envieuse l’Allemagne, dont le réseau est à la peine pour envoyer vers le Sud l’électricité éolienne produite au Nord.

En Norvège, la baisse du prix du baril et l’épuisement programmé des ressources pétrolières et gazières, qui représentent 25 % du PNB et pèsent 300.000 emplois, ont également fait beaucoup réfléchir les dirigeants qui se sont attelés à la diversification de l’économie. Deux fonds de soutien ont été créés, l’un pour aider les PME à verdir leurs activités, l’autre pour développer les technologies du climat, Dans les transports, par exemple, la Norvège pousse au développement de la voiture électrique. Elle le fait à grand renfort d’incitations fiscales et en taxant lourdement les véhicules qui « carburent » aux énergies fossiles. Il en coûte chaque jour 8 euros à leurs conducteurs pour rouler dans Oslo.

Des finances et des hommes

Le coût de cette politique de transition énergétique ambitieuse est difficile à établir, vu la multiplicité de ses volets, notamment dans le domaine des économies d’énergie. Mais une chose est sûre, la Norvège a de la ressource. Essentiellement celle de son fonds souverain, qui affiche une valeur de 850 milliards d’euros, ce que la rente pétrolière lui a permis d’amasser.

Les nations nordiques ont aussi comme atout de disposer d’une main-d’oeuvre très flexible. On y change bien plus souvent de métier au cours de sa vie que dans le reste de l’Europe. Cette adaptabilité, que les actifs doivent à la fois à leur généreux système de protection sociale et à de robustes dispositifs de formation professionnelle, facilite la mutation verte de l’économie.

Enfin, le consensus politique à la scandinave a la vie dure. « Tout le monde s’estime concerné par le mouvement de transition énergétique », fait observer Marianne Karlsen. L’irruption des écologistes ne provoque pas de séisme. Tout comme les défaites électorales qu’il leur arrive de subir. Au Danemark, la coalition rouge-vert a dû abandonner cette année le pouvoir au Parti libéral. Certaines orientations vont être revues, mais à la marge. « Nous voulons continuer à développer les énergies renouvelables, mais à un rythme plus lent », explique Anders Hasselager, de l’Agence danoise de l’énergie. L’accent sera mis davantage sur l’efficacité énergétique. L’objectif final, reste le même : faire passer à 100 % la part des énergies renouvelables d’ici à 2050. Qui dit mieux en Europe ?

Les Echos 20/11/2015