Bousculé par l’évolution sociologique, fragilisé par le Big Data et l’hyperciblage qu’il autorise, annoncé comme officiellement mort en 2014, le concept perdure. Mais s’étiole.
La nouvelle de sa mort, le 11 décembre 2014, était passée inaperçue. Le premier anniversaire de sa disparition, il y a quinze jours, l’a été tout autant. La « ménagère de moins de 50 ans », dite encore « femme Moulinex », fringante fée du logis avec son tablier et son rouleau à pâtisserie, icône des médiaplanneurs et des régies TV, a été occise sans tambours ni trompettes par les sages du comité Audimétrie.
En 2013, l’apparition du concept de « digital mum », navigant au moins une fois par semaine sur Internet et les réseaux sociaux pour acheter en ligne, augurait mal de son avenir. Quelques mois auparavant, plusieurs régies, dont TF1 Publicité, avaient abandonné la sémantique, lui préférant celle, plus flatteuse et plus contemporaine, de « femme responsable des achats du foyer ». Aujourd’hui, son sort semble scellé.
Population imprécise
Pourtant, c’est dans l’Hexagone que le concept de « ménagère de moins de 50 ans » naît et prospère, à l’instigation de Médiamétrie pour les besoins de son Médiamat. Le terme désigne une cible de masse, une population de consommatrices large, imprécise, dont la première qualité est le pouvoir qu’elle détient sur les décisions d’achats du ménage. Le second de ses talents réside dans le fait de constituer une cible de masse… auquel ne peut correspondre qu’un média de masse. La télévision lui tend les bras avec ses « réclames »… qui deviennent le nerf de son modèle économique.
Le Big Data l’a tuée
« Mais le Big Data a tué la “ménagère de moins de 50 ans”, juge Jacques Séguéla. On est passé du général au particulier, et de l’espace-temps à l’immédiateté. Si un consommateur met en vente sa voiture sur Internet, il reçoit dans les cinq minutes les propositions de plusieurs concessionnaires. On le suit à la trace, heure par heure, minute par minute… » L’évolution sociologique, avec l’irruption des femmes sur le marché du travail, et l’explosion de la cellule familiale, avait infligé des blessures sévères au modèle de la « femme Moulinex ».
L’ère de l’hyperciblage
Internet lui aura donc porté le coup fatal. « La disparition du concept de “ménagère de moins de 50 ans” clôt, de manière symbolique, un chapitre du marketing et de la pub qui s’appuyait sur le ciblage de masse et la domination du spot TV de 30 secondes, analyse Raphaël de Andreis, président France du groupe Havas Média. Nous sommes entrés dans l’ère de l’hyperciblage. » Et plus encore aux Etats-Unis « où, ajoute-t-il, l’environnement légal est plus souple que chez nous et où l’on peut acheter de l’information en ayant accès aux programmes regardés par les individus sur leur box. Si l’on additionne la consommation audiovisuelle de “Dora l’Exploratrice” à celle de certaines séries, on commence à voir apparaître un profil assez pointu. Ces données nourriront les algorithmes qui permettront eux-mêmes d’enrichir l’offre média que nous vendons ».
Nouvelles cibles
De là à en déduire que la « ménagère de moins de 50 ans » gît six pieds sous terre… ? Pas si simple. Car « la femme Moulinex » fait de la résistance : « Nous continuons d’utiliser le concept de ménagère lorsque nous établissons la cible à viser en priorité et que nous achetons des espaces médias auprès des régies publicitaires de manière quantitative : c’est plus facile pour négocier, indique Andrea Stillacci, président d’Herezie. Mais au moment de la création de la campagne et de sa déclinaison sur des écrans multiples, nous affinons le profil avec des data beaucoup plus élaborées en fonction de leurs habitudes. » Et Eric Delannoy, président de WNP Agency, d’ajouter : « Il ne faut pas être hypocrite. Même si sa formulation a évolué, que l’on évoque aujourd’hui une “femme responsable des achats”, il s’agit du même concept qu’autrefois, énoncé de façon plus “sémantiquement correcte”. Mais avec l’apparition de nouvelles cibles comme les seniors, les familles monoparentales, ou les “Tanguy”, ces enfants qui ne veulent pas quitter la maison, ce concept ne cesse de s’étioler. »
La « ménagère de moins de 50 ans » n’aura donc gagné qu’une poignée de mois avant son extinction finale, qui promet d’être définitive et sans éclat.
Les Echos 04/01/2016