Les nouveaux enjeux des données urbaines

La municipalité de Boston a choisi de rendre accessibles à tous, en permanence, les grands indicateurs concernant la ville. Avec l’idée que la transparence est source d’amélioration.

Elles sont partout. Dans les chiffres de fréquentation des bibliothèques comme dans les statistiques de criminalité. Dans les tarifs de l’immobilier comme dans le contrôle de la propreté des rues. Dans la superficie d’espaces verts par habitant comme dans les prévisions de pics de pollution. En une décennie, les données sont devenues indispensables à la gestion des villes. Poussées par la multiplication des capteurs et des smartphones, dopées par les progrès du Big Data et des algorithmes prédictifs, encouragées par des acteurs privés persuadés d’y trouver des services innovants et de futures sources de revenu, les données sont aussi vues, par un nombre croissant de métropoles, comme un levier d’amélioration de l’action publique.

Lancé

    il y a moins de dix ans en Californie par une trentaine de pionniers de l’Internet

, dont le célèbre professeur de droit Lawrence Lessig, le mouvement en faveur de l’ouverture des données publiques (« open data ») s’est répandu sur tous les continents. Depuis 2014, il existe même une norme (ISO 37120) certifiant les indicateurs sur les services urbains et la qualité de vie. Elle est testée par des dizaines de municipalités à travers le monde, de Melbourne à Barcelone en passant par Dubaï, Toronto ou Taipei.

Qu’elles soient certifiées ou pas, des centaines de villes, petites ou grandes, ont mis des jeux de données à la disposition d’autres acteurs, publics ou privés. Elles ont aussi, à l’image de Paris, Lyon ou Bordeaux, ouvert des portails pour « montrer » leur engagement à partager les informations. « Il y a deux enjeux dans l' »open data » : trouver la bonne façon de représenter les données, donc travailler avec des designers pour rendre les choses tangibles, et travailler sur l’interactivité, car les indicateurs présentés ne doivent pas être statiques », indique Jean-Marc Lazard, PDG et fondateur d’OpenDataSoft, start-up parisienne spécialisée dans l’utilisation de ces données.

Mais, pour les citoyens lambda, cette libération des données est encore peu visible. S’ils en bénéficient indirectement, par exemple à travers certaines applications (géolocalisation, planification de déplacements, guides, etc.), ils n’en perçoivent pas les bénéfices concrets. « Il ne suffit pas de donner des indicateurs, la ville doit aussi montrer qu’elle est prête à faire des efforts », estime Mathieu Saujot, coordinateur du programme Fabrique urbaine de l’Iddri, institut de recherche lié à Sciences po.

« Redevabilité »

Dans ce domaine, l’exemple le plus frappant ne vient pas de Californie, mais du Massachusetts. Depuis janvier dernier, à la demande du maire, Martin Walsh, Boston publie en temps réel, sur le Web, une vingtaine d’indicateurs regroupés dans un tableau de bord appelé CityScore. De l’effacement des graffitis aux homicides, en passant par la réparation des trous dans la chaussée ou l’enlèvement des ordures ménagères, la plupart des services municipaux sont concernés. « Cela permet d’alerter rapidement la municipalité sur des questions qui posent problème. Cela permet également aux responsables des différents services d’avoir une vue immédiate de leur action », explique Jascha Franklin-Hodge, Chief Information Officer de la ville.

Le principe du CityScore est très simple : une note de 1 correspond à l’objectif fixé. Au-dessus de 1, la performance est supérieure aux attentes. En dessous, elle est insuffisante – et, pour enfoncer le clou et mettre la pression sur les services concernés, les mauvais chiffres s’affichent en rouge. « Cela s’inscrit dans une logique très anglo-saxonne, selon laquelle les élus sont redevables », estime Mathieu Saujot, qui désigne cette logique par un néologisme, la « redevabilité », pour exprimer ce que les anglophones appellent « accountability ».

Boston n’est ni la première ni la seule ville à expérimenter l’évaluation des services publics sous forme de tableau de bord. Chicago, par exemple, publie sur son site différents outils de mesure de la performance, mais chacun est indépendant. « Ce qu’il y a de spécifique à Boston, c’est la volonté d’offrir une grille d’évaluation de l’ensemble des données de la ville, avec l’idée que c’est en se connaissant que l’on peut s’améliorer, estime Nathalie Martin-Sorvillo, directrice de La Fabrique de la Cité, think tank créé à l’initiative du groupe Vinci, qui organisait début juin un séminaire à Boston. C’est là que réside la valeur pour le citoyen : non seulement la ville libère les données, mais elle les traite et les utilise comme un outil de pilotage des politiques publiques. »

CityScore est la dernière d’une longue liste d’initiatives innovantes de Boston sur l’utilisation des données. Comme New York, Los Angeles ou Pittsburgh, la capitale du Massachusetts a mis en oeuvre une politique très volontariste sur les données urbaines. En 2009, elle a ainsi lancé une application pour smartphone, Citizens Connect, permettant aux habitants d’avertir les services municipaux d’un problème (éclairage public défaillant, mobilier urbain dégradé, etc.) en envoyant une photo géolocalisée – une idée inspirée par la plate-forme FixMyStreet de l’ONG britannique mySociety. Trois ans plus tard, Boston a équipé ses employés communaux d’une application complémentaire, City Worker. « L’idée était qu’ils puissent envoyer une photo signalant que le travail était fait. Aujourd’hui, nous publions même la photo de l’équipe qui a effectué la réparation », indique Nigel Jacob, directeur du New Urban Mechanics, le laboratoire d’innovation de Boston. Tout n’est cependant pas parfait : dans une ville connue pour ses grandes inégalités de revenu, certains observateurs font valoir que le signalement des problèmes via smartphone peut favoriser les quartiers les mieux connectés, donc les plus riches.

Lancé il y a six mois, le tableau de bord CityScore est en cours d’évaluation, et n’a pas encore fait école aux Etats-Unis. Quant à voir une initiative similaire se déployer dans l’Hexagone, on en est encore loin – question de mentalité plus que de technologie, puisque la plupart des outils existent. Comme le constate Jean-Marc Lazard, d’OpenDataSoft, « là-bas, les municipalités ont davantage la volonté d’utiliser les données comme un outil de mesure de l’action publique, et de comparaison entre les villes ».