TSE et entreprises : des relations historiques

Jean Tirole est depuis longtemps un adepte de la recherche en partenariat avec les entreprises, initiée par Jean-Jacques Laffont au début des années 1990. Entre partenariats et levées de fonds, quelles sont vraiment ces relations ? Explications.

« La recherche en collaboration avec les entreprises était au coeur de la construction du groupe des économistes toulousains. Des centres de recherche partenariale ont rapidement été mis en place », rappelle Sébastien Pouget, directeur de la recherche partenariale de Toulouse School of Economics.

Ainsi, dès 1990, Jean-Jacques Laffont créait l’Institut d’économie industrielle (IDEI) avec un double objectif : favoriser la reconnaissance des économistes de Toulouse et créer un lien entre recherche économique et besoins des entreprises. Directeur scientifique de l’IDEI depuis 1992, Jean Tirole a perpétué cette démarche et, comme le reconnaît Sébastien Pouget, l’IDEI « est la structure qui permet de formaliser les partenariats de TSE avec les entreprises ».

Toulouse School of Economics noue ainsi des collaborations avec des entreprises autour de projets de recherche de trois ans au minimum, mais « certains partenariats durent depuis vingt-cinq ans », précise Sébastien Pouget. Pour lui, si le risque de ces collaborations est de tomber dans le conseil, « Jean Tirole constitue un gage de sérieux scientifique ».

Les thématiques de recherche de TSE sont nombreuses : économie de l’énergie, de la finance responsable, de l’Internet, des transports ou encore de la régulation. Et les entreprises n’hésitent pas à solliciter l’école pour présenter leurs besoins et leurs motivations. De ces échanges naissent des travaux de recherche financés par ces entreprises. « Mais nous ne sommes pas là pour livrer des rapports aux entreprises », prévient Sébastien Pouget. Pour illustrer ces propos, le directeur de la recherche partenariale met en avant les travaux de Jean Tirole sur les marchés de plateformes financés par les réseaux de cartes bancaires et qui ont influencé les règles européennes en matière de détermination des commissions payées par les commerçants pour les paiements par carte.

« Les entreprises financent des travaux qui sont ensuite publics et peuvent eux-mêmes potentiellement être utilisés par leurs concurrents », poursuit Sébastien Pouget. Un inconvénient qui ne les empêche pas d’être intéressées, car « cela fait progresser leurs propres équipes », assure-t-il.

Quelle indépendance ?

Ces relations posent la question de l’indépendance du chercheur, clé de voûte de la crédibilité de toute publication. Un point qu’aborde Jean Tirole dans son livre, alors que l’on compte trois membres issus du monde des entreprises sur les quatorze qui composent le conseil d’administration de TSE : Fabrice Brégier (Airbus), Anne-Juliette Hermant (Axa) et Laurent Clerc (Banque de France).

« Le défi pour ces établissements de recherche est de préserver l’entière liberté du chercheur face à la possibilité de non-renouvellement du financement par le partenaire privé ou public, tout en répondant à sa demande, par ailleurs légitime, que les recherches ainsi financées portent sur un domaine qui l’intéresse », indique-t-il.

Dans ce paragraphe intitulé « Partenariats institutionnels », le chercheur toulousain dénombre six facteurs d’indépendance, dont des travaux de recherche sur le long terme, des « contrats multipartenaires » et « ce qui fait le caractère de Toulouse, selon Sébastien Pouget, des travaux de recherche qui sont publiés dans des revues scientifiques ». La chaire Finance durable et investissement responsable, codirigée par Sébastien Pouget, est un exemple de partenariats multiples, puisqu’elle bénéficie du soutien d’une dizaine d’asset managers et de certains organismes publics comme la Caisse des Dépôts.

Des entreprises pour financer la recherche

La distinction reçue par Jean Tirole a-t-elle incité de nouvelles entreprises à collaborer avec TSE ?

« Le Prix Nobel a clairement accéléré la notoriété de TSE auprès des entreprises, répond Joël Echevarria, DGS de l’école. Ce n’est pas un raz-de-marée, mais il y a des contacts entrants et des marques d’intérêt d’entreprises françaises. »

L’effet Prix Nobel n’est pas encore notable sur les entreprises étrangères, même si TSE travaille depuis de nombreuses années avec Microsoft notamment.

« L’enjeu à l’international, c’est aussi d’intéresser les dirigeants influents et fortunés qui ont leur propre fondation, comme aux États-Unis », développe Joël Echevarria.

« À partir de la fin 2016, nous irons à la rencontre d’entreprises et de prescripteurs à l’étranger, notamment à San Francisco, Seattle et New York », poursuit le directeur général des services.

Des lieux qui ne doivent rien au hasard : Silicon Valley, le siège de Microsoft et de Boeing, ainsi que Wall Street. L’idée est de convaincre de nouveaux mécènes de financer la recherche économique à Toulouse. En 2008, la Fondation Jean-Jacques Laffont-Toulouse School of Economics récoltait 33 millions d’euros auprès de douze mécènes, permettant ainsi de financer la création de nouvelles chaires de recherche. Parmi eux, Axa, BNP Paribas, la Caisse des Dépôts et consignations, EDF, La Poste ou encore Total. Une opération réussie après l’opportunité offerte aux réseaux de recherche et aux universités français de faire appel à des fonds privés. TSE était à l’époque l’une des rares institutions académiques à avoir sauté le pas.

« Une deuxième levée de fonds est en préparation, confirme Joël Echevarria. Nous travaillons actuellement sur cette opération et nous devrions communiquer à ce propos en automne, au moment où nous aurons atteint un certain niveau d’engagement. »

Un financement issu d’acteurs privés qui devrait permettre aux chercheurs de poursuivre leurs travaux. Car « les entreprises qui soutiennent TSE soutiennent avant tout la recherche d’excellence », conclut Sébastien Pouget

La Tribune 12/07/2016