La renaissance inattendue des librairies américaines

 

Les ventes en librairie ont augmenté de plus de 6 % au premier semestre.
Le secteur a beaucoup modernisé son offre.

Données pour mortes il y a cinq ans, les librairies sont en train de vivre une belle renaissance aux Etats-Unis. Leurs ventes ont augmenté de plus de 6 % au premier semestre (à 5,4 milliards de dollars), vient de révéler le Census Bureau, après une hausse de déjà 2,5 % sur l’ensemble de l’année dernière, la première progression sur un an depuis 2007. A l’instar des disques vinyle, qui ont littéralement ressuscité ces derniers années, les librairies semblent ainsi échapper au déclin prédit.

Le secteur a pourtant vécu de terribles années. L’explosion des ventes d’e-books, entre 2009 et 2012, a même fait craindre une extinction du « papier ». Les ventes en librairie ont ainsi fondu de plus d’un quart en l’espace de cinq ans :  aux Etats-Unis, elles sont passées de 7 milliards de dollars au premier semestre 2009 à 5 milliards au premier semestre 2014. Mais 2015 a marqué un retournement de tendance, qui n’a d’ailleurs pas échappé à Amazon : le géant du commerce en ligne a ouvert une première librairie l’an dernier et en prévoit 400 supplémentaires dans les années qui viennent. Un comble, pour un groupe ayant provoqué tant de faillites dans ce secteur.

Achat local… et high-tech

Comment expliquer ce regain d’intérêt ? Le déclin des livres numériques y est pour beaucoup. Ils ont vu le chiffre d’affaires qu’ils génèrent baisser de 10 % l’an dernier aux Etats-Unis, alors que les livres papier augmentaient le leur de 16 % sur la même période, selon l’Association des éditeurs américains. Les libraires ont profité de vents porteurs, au premier rang desquels l’incroyable succès des livres de coloriage pour adultes, destinés à détendre les plus stressés. Il s’en est vendu 12 millions l’an dernier aux Etats-Unis, alors que le marché n’existait pratiquement pas il y a deux ans ! Entre tapis de yoga et sachets de thé, les librairies ont par ailleurs tendance à étendre leur offre bien au-delà de la littérature. La chaîne Barnes&Noble, qui offre des cafés depuis une décennie, vient d’y ajouter de la bière et de la nourriture, espérant attirer ainsi des clients qui n’auraient jamais franchi le seuil d’une librairie autrement. Dans le magasin de l’Upper West Side, les livres ont perdu beaucoup d’espace. Le second étage est presque exclusivement réservé aux jouets pour enfants – un marché plus porteur que les livres. En seulement trois mois, les magasins Barnes&Noble ont ainsi accru de 15 % les revenus tirés des jouets. Cela ne suffit toutefois pas à stabiliser leurs ventes globales, qui ont encore fondu de 2 % au dernier trimestre. La chaîne a fermé 10 % de ses magasins depuis six ans.

Au-delà des grandes chaînes, ce sont les librairies indépendantes qui semblent avoir le plus innové récemment. Dans l’Upper East Side de New York, la librairie Shakespeare & Co a ainsi fait le choix radical de réduire son inventaire de 40 %, pour éviter les invendus et mettre en valeur les best-sellers. Les livres tournent beaucoup plus rapidement qu’auparavant, ce qui pousse les clients à revenir.

Une imprimante high-tech, baptisée Espresso, est par ailleurs disponible pour publier des livres à la demande, moyennant quelques dollars. Les clients souhaitant publier leurs propres textes sont particulièrement nombreux. Conséquence  : les ventes de Shakespeare and Co ont progressé de 10 % au dernier trimestre.

Portées par le mouvement de l’« achat local », qui s’étend désormais bien au-delà de la nourriture, les librairies indépendantes semblent ainsi renaître de leurs cendres : on en compte 300 de plus qu’il y a cinq ans, selon l’Association des éditeurs américains, soit une augmentation de plus de 20 %.

Les Echos 25/08/2016